Chapitre 13

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_ Tu viens te balader ? J'en ai marre de les entendre se disputer.
La petite voix de Lou me ramène à la réalité.
_ Oui, moi aussi, je lui réponds doucement.
Elle me prend la main et nous nous éloignons du feu de camps, laissant Bob et Ely se détruire mutuellement.
Cette journée a été calme, jusqu'à cette fin d'après-midi où les tensions ont explosé. Léna m'a insulté à tout rompre, et je n'ai même pas pris la peine de répliquer. Jasper m'en veut encore d'avoir oublié notre rendez-vous du mois dernier à la rivière, pendant que je discutais avec Ely. Enfin, il prétend que non, mais je voix bien qu'il me ment. Il est comme ça Jasper, il a besoin d'en vouloir aux autres pour exister. Comme s'il ne pouvait pas se contenter de se remettre en question lui-même, et je le comprends, se détruire sur le long terme, c'était épuisant. Alors je fais mon possible pour me faire pardonner, parce que j'ai compris depuis cette après midi passée avec Ely, que je ne pouvais plus me permettre de perdre les gens auxquels je tiens, car on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. Une perte de mémoire par exemple. Je ne pourrais plus le supporter.
_ Tu penses qu'ils s'aiment ?
Une question innocente et pourtant si réelle. Une question dont seule Lou a le secret. Je fais mine de ne pas comprendre.
_ Bob et Ely ?
Elle hoche la tête et ses nattes blondes dansent autour d'elle.
_ Je pense surtout que les gens détestent se retrouver seuls dans ce genre de situation.
Elle plisse les yeux en signe de réflexion et cela me fait sourire. Après quelque seconde de pensées intenses, elle déclare.
_ Moi je crois que Bob l'aime, mais pas Ely.
Je ris. Elle me dévisage, mécontente que je ne la prenne pas au sérieux.
_ Et toi, tu l'aimes Jasper ?
Cette question me fige. Elle le remarque et presse ma main. Elle s'excuse, change finalement de sujet. Je lui en suis reconnaissante et la remercie d'un sourire gêné.
_ Tu sais, me dit-elle, je crois bien que je préfère être ici que dans les camps.
Sa remarque m'étonne, mais je reste attentive.
_ C'est vrai, au moins ici on est maître de notre vie. Là-bas, ils nous disaient quoi faire, à longueur de journées.
_ C'est ridicule.
Cette pensée m'échappe, et je m'en veux de suite de l'avoir dit à voix haute. Mais le pire, c'est que je continue.
_ Ici nous ne sommes maître de rien du tout. Nous sommes leurs pantins, ils font ce qu'ils veulent de nous.
_ C'est toi qui est ridicule, soutient-elle. On voit de suite que tu ne te souviens pas de la vie des camps, mais moi je préfère survivre à l'extérieur que vivre enfermé.
Je renonce à lui répondre, cette conversation est vaine, car finalement, c'est elle qui a raison. Moi par exemple, je ne supporterais pas de vivre sous terre, à attendre que le monde guérisse de ses blessures. On ne guérit jamais.
Je songe à rentrer car il se fait tard mais la petite continue de me questionner. Je comprends alors qu'elle a besoin d'attention, puis, c'est bientôt la fin, nous y sommes presque, et chacun de nous la redoute. Nous avons peur de mourir, ou bien pire, nous avons peur de ce qu'il y aura, après. Une autre arène ? Je me pose souvent cette question.
_ Pourquoi tu ne parles plus à Bob ?
Bob. Je n'y pensais plus. Et c'est bien le seul moment d'ailleurs. Je me contente de lui répondre que c'est compliqué.
_ Non, c'est très simple Juliane, réplique-t-elle fermement. Tu es complètement stupide.
Mes yeux s'écarquillent et je lui demande de répéter, incrédule. Elle s'exécute et je me mets à rire.
_ Stupide tu dis ?
_ Oui, continue-t-elle avec conviction. Et en plus tu refuses de voir la réalité en face. Arrête de te cacher.
Elle m'explique que je ne peux plus éviter mes sentiments, que de se mentir comme ça, c'était débile. Débile. Ce sont ces mots.
_ Je sais que tu as raison. Mais je sais aussi que ce ne sont pas mes priorités.
Elle souffle, et semble épuisée de mon acharnement.
_ Fais comme tu veux. Mais je te conseille d'aller lui parler, parce qu'on sait jamais.
Sur ces paroles, elle me prend la main et m'entraîne sur le chemin du retour dans un silence glacial.

_ Ah, on commençait à s'inquiéter, me lance Ely sur un ton sec bien que sincère.
La tension semble être redescendue d'un cran, et je m'en réjouis. Je suis fatiguée. De tout. De la vie en générale, mais aussi de la mort, qui est omniprésente dans cette arène. Elle nous menace de son oeil certain. Elle sait qui va y passer, mais pas nous, et c'est ce qui m'effraie le plus. Il nous reste trois mois de doute à parcourir, trois mois de frissons, trois mois d'histoires. Trois moi c'est peu, nous avons pourtant tant de choses à découvrir les uns des autres. Bob me manque, même si je ne me l'avouerai jamais, nos discussions me manquent, nous étions si proches de la solution. Mais je ne peux pas me permettre de faire apparaître de nouvelles tensions entre Ely et moi, maintenant que tout se passe bien.
_ Tu viens t'asseoir avec nous? me supplie-t-elle de son regard de biche.
J'observe le feu de camps. Tout le monde est là, sauf Jasper, ce qui m'aurait étonnée. Pour une fois, Ely n'est pas sur les genoux de Bob, mais face à lui, c'est étrange mais je n'y prête pas attention, ce sont leurs histoires. J'hésite mais murmure finalement un petit « oui » discret et me met à côté d'elle.
_ Je trouve sincèrement qu'on a progressé depuis que tu nous donnes des cours, non? me sourit-elle.
Je lui réponds d'un regard éteins, un regard qui transmet mon agacement face à son éternelle joie de vivre. Je me prends à penser que je la préférais folle. Bob semble dans le même état d'esprit que moi, il souffle, baisse la tête, puis intervient soudainement.
_ Mais tu vas arrêter oui, de faire comme si tout allait bien?
Ses grands yeux noirs se posent sur Ely qui joue les princesses choquées.
_ Et puis cesse de faire les yeux doux à tout le monde. On va tous crever, et tes airs de diva n'y changeront rien, s'énerve-t-il.
Sur ce, il se lève, et part en direction de la cabane. Ely reste figé, c'est la première fois que Bob s'agace contre elle, mais en même temps il a tout à fait raison. Elle joue le jeu des vacances entre amis. Mais ce ne sont pas des vacances, et nous ne sommes pas amis. Ici, c'est l'enfer, nous, nous ne sommes que des survivants, rien d'autre. Léna, quand à elle, rit de cette scène absurde. Je me poste alors face à elle, et sans qu'elle s'y attende, lui met une gifle spectaculaire. Le bruit résonne si fort, que Lou, et Ely en restent bouches bées, même Bob se retourne vers nous, interdit.
_ Oh et puis toi aussi, ta gueule, je l'agresse.
Elle n'en revient pas, et porte sa main à sa joue déjà rougie par le choc. Je sens qu'elle aimerait pleurer, mais sa fierté l'en empêche et ses larmes restent toutes coincés au fond de ses yeux sans couleurs. Je m'éloigne le plus vite possible de ces deux idiotes, j'étouffe.

Les Lumières BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant