Chapitre 2 - Papillonnages

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Quand Simon avait besoin de se ressourcer, il se confrontait à la foule.

Un soda quelconque pour le sucre, une place en terrasse éloignée des allées et venues des passants pressés et de puissants rayons de soleil. S'il se barricadait d'ordinaire dans l'ombre de son bureau pour écrire, il éprouvait le besoin de temps à autre de sa dose de chaleur. Il s'appuyait contre le dossier en métal, un verre frais à la main et le visage baignant dans la moiteur étouffante d'un été parisien particulièrement chaud. Sans oublier ses lunettes de soleil, accessoire obligatoire de ses escapades urbaines. Non pas parce qu'il tenait à protéger ses yeux clairs, mais simplement parce qu'il pouvait ainsi s'adonner à son activité favorite en toute impunité : l'observation.

Il adorait ça, observer, regarder, écouter, épier, comprendre les gens. Il réalisait chaque fois avec une humilité qui lui pinçait le cœur qu'il y avait autour de lui des milliers de personnes ayant une vie, une histoire, des aventures fabuleuses ou d'autres banales, toutes persuadées en toute bonne foi d'être le centre de leur monde. Que pouvait bien penser cette femme-là, qui pianotait sur le clavier de son téléphone ? Qui était cet homme à la cravate si étrange ? Comment cet enfant ressentait les remontrances incessantes de ses parents ?

Simon notait, nonchalamment, des brins de vie pour ses romans. Il accaparait l'histoire d'inconnus avec une joie non feinte. Il les modifiait et les recréait à l'envi. Il leur donnait un prénom selon leur apparence. Il romançait, érotisait le tout et grattait de nombreuses lignes sur un petit carnet relié. Qu'aurait dit cet homme s'il avait su qu'il l'appellerait Patrick et le ferait cocu dans sa prochaine histoire ? Ou cette femme aux formes généreuses qu'il aimerait bien prénommer Amy et qu'il ferait craquer devant le bel inconnu en train de bronzer sur la table d'à côté ? Il sourit devant l'audace des images qu'il s'évoquait alors qu'elle se levait et qu'il regardait sans détour ses fesses glisser entre les rangées.

Vinrent alors s'asseoir deux jeunes femmes, vingt-cinq ans environ, de longues jambes supportant de jolis petits culs, bien enveloppés dans un jeans slim pour la brune et à peine recouvert par une jupe blanche très courte pour la rousse. Les deux étaient très mignonnes, même si Simon avait une préférence pour la brune. Il s'était toujours demandé pourquoi il préférait les brunes. Malgré ses longs moments d'introspection, il n'était jamais parvenu à une réponse et il n'aimait pas ça. Il se sentait, à chaque fois, comme guidé par son instinct et sans aucun contrôle sur ses inclinaisons. Il adorait essayer d'influer ses goûts, en matière culinaire par exemple. Il se targuait d'être un spécialiste en vin alors que deux ans à peine plus tôt il n'aurait jamais pu en terminer un ballon. Il avait profité d'une relation sans grande passion avec une Martiniquaise pour se forcer à goûter toutes sortes de piments et essayer d'en apprécier les saveurs. Mais en matière de femmes et de sexualité, il se sentait tellement impuissant face à son désir. Le seul moyen qu'il avait eu de tromper ses pulsions se trouvait dans ses romans où il décrivait rarement un périple amoureux avec des brunes. Peut-être avait-il trop peur de perdre le contrôle de son personnage ?

Pourtant, la rousse était vraiment très jolie. Elle avait des yeux verts enjôleurs et un sourire à tomber. Mais, caché derrière ses lunettes noires, c'est la jolie brune qu'il observa à la dérobée. Les cheveux plutôt courts, les yeux sombres, une peau marquée par le soleil et quelques tatouages d'adolescence, des yeux mutins et une bouche qui semblait murmurer d'inavouables secrets. Il était à deux tables d'elles et trois couples les séparaient. Pourtant l'une d'elles, tournant la tête pour chercher un serveur, le remarqua brièvement avant de se pencher vers son amie pour lui indiquer sa présence. Comme à chaque fois dans ces moments-là, Simon ne s'en rendit pas compte.

Elles rigolèrent, l'observèrent, discutèrent à voix basse avant de rire aux éclats, se trémoussèrent sur leurs chaises, se levèrent chacune leur tour pour se rafraîchir aux toilettes en passant si près de lui qu'elles le frôlèrent toutes les deux, mais à aucun moment Simon ne réalisa qu'il était le centre de leurs facéties. Pire, il commença à imaginer qu'elles se moquaient de lui alors même qu'elles le regardaient avec gourmandise. Il finit par froncer les sourcils et détourna le regard, passablement agacé. Il aimait bien observer, mais ne supporter pas de l'être. Il avait beaucoup de mal à déchiffrer les intentions des gens et les interprétait, souvent à tort, comme relevant d'une certaine animosité envers lui, le rendant d'autant plus méfiant et d'autant moins sympathique, ce qui finissait de boucler le cercle vicieux. Il lui fallait souvent des mois avant d'apprécier quelqu'un et des années avant de lui faire confiance. Autant dire que les relations amoureuses avaient toujours été compliquées.

Simon - Tome 1 : à demi-motOù les histoires vivent. Découvrez maintenant