Chapitre 8

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Ils m'ont gardée la nuit par crainte d'une rechute violente. Ma tension était très basse. On m'avait donné des cachets. Au moins, je n'étais pas sous perfusion quelconque.

Math est venu le lendemain, dès que l'hôpital l'a permis. Il s'est assis à côté de moi, mais pas longtemps, il allait et venait le long de la chambre, s'agitant dans tous les sens. Il se répandait en dizaines d'excuses, comme quoi c'était sa faute, qu'il était désolé de m'avoir laissée seule, d'avoir traîné, de ne pas avoir ouvert le message de Nath assez tôt. Puis il s'est calmé, s'est rassis, et m'a demandé s'il pouvait boire dans ma bouteille d'eau. Il avait mal au crâne et le goût de l'alcool ne quittait pas sa bouche.

J'ai eu du mal à trouver mes mots, mais je lui ai finalement expliqué la situation. Il a regardé par la fenêtre et me répondait calmement. Je savais qu'il se retenait de pleurer, ou alors, qu'il le faisait en silence.

Une infirmière est venue et lui a demandé d'attendre dans le couloir. Elle m'a passé mes vêtements, m'a fait une dernière prise de sang. Elle m'a annoncé que je rentrerais cette après-midi. J'ai passé mes vêtements pendant qu'elle relevait le haut de mon matelas, puis elle m'a tendu une télécommande. Je me suis assise en calant mon dos contre le matelas relevé presque à la verticale, en tailleur. J'ai allumé la télé. Math est rentré quand l'infirmière est sortie. Il avait les yeux rougis. Il s'est assis sur le rebord de mon lit et m'a serrée tendrement dans ses bras.

***

J'avais des vitamines et des gouttes pour garder ma tension haute. C'était bien peu de choses. Je me suis dit qu'un paquet de cigarettes ne serait pas de trop, et j'en ai acheté un. Le "fumer tue" sur le paquet m'a fait rire jaune.

Les gens réagissent différemment face à la mort. Certains décident de profiter à fond de la vie, en se déscolarisant et en faisant appel à des associations qui réalisent les rêves. Certains vivent normalement jusqu'à la fin. Pour ma part, je n'arrivais pas à me dire que c'était quelque chose de concret. Jamais, je n'ai réussi à considérer les gens comme "morts". A mes yeux, ils étaient juste partis. Je ne savais pas où, je savais que je ne les reverrais jamais, mais il n'étaient que partis. Mon diagnostic m'a amenée à comprendre que je ne partirais pas. Que chaque chose avait son obsolescence programmée ou sa date de péremption. Malgré tout, la notion de mort restait floue.

Je passais mon temps chez Math, je crois qu'on en avait besoin autant l'un que l'autre. On ne l'avait pas encore annoncé aux autres de la bande. On le ferait sûrement à la prochaine soirée. Qui se déroulera chez Nathan, dans deux semaines. Ça me semblait être une éternité à attendre.

Ma relation avec Nath n'avançait pas. Math, après quelques recherches, avait obtenu les informations suivantes, je cite:

« Il n'a jamais eu de copine, et on n'est même pas sûrs qu'il soit hétéro. »

Super. Avec la poisse que j'ai, combien de pourcentage de chances qu'il le soit justement? Une infinité. Math me dit de lui parler, même si je n'ai en retour que des "vus" sur Facebook. Ça fait déjà cinq "vus" quand même. Je commence à être doucement frustrée.

Les jours passent et j'ai l'impression que mon enveloppe charnelle est de plus en plus douloureuse à vivre, mais je sais que sur un si court laps de temps, c'est uniquement psychologique. Ma psy appelle ça une idée fixe. Une peur qui prend trop d'ampleur. N'empêche, j'aimerais arrêter ma circulation sanguine, qui transporte toute la saloperie qui grandit en moi. Ce qui est sensé me faire vivre me tue. Belle ironie.

Ma mère aurait pu m'interdire la soirée de demain, car les efforts physiques me sont déconseillés. Quel dommage que le carnet des recommandations ait disparu, mystérieusement, et hors de sa portée.

De toute façon, je mourrai dans six mois, j'ai quoi à perdre en attendant?

***

Octobre 201X

Vendredi, seize heures.

Quand la sonnerie a retenti, nous nous sommes tous précipités dehors, avec la bande. Alex annonce que nous allons chercher des bières au supermarché plus loin, puis que son père viendra nous chercher pour nous conduire chez Nath. Ils vivent à un petit kilomètre l'un de l'autre, de part et d'autre de la ville S. Thibault nous fait signe et s'en va; il nous rejoindra plus tard. Il doit rentrer avec son père qui travaille au lycée.

Une fois devant le rayon alcool, Alex insiste pour qu'on prenne un pack de bières premier prix. Apparemment elle est dégueulasse, mais Thibault la trouve passable et est vite saoul avec. C'est peut-être aussi pour le côté marrant. Math est obligé de choisir pour nous car personne n'y connait vraiment grand-chose.

On passe à la caisse. Math demande un paquet de cigarettes. Alex demande un paquet de tabac et des feuilles. On le regarde bizarrement. Il fume, Alex......?

Nathan est plus une ombre qu'une personne; il passe son temps à nous suivre sans rien dire. Même quand vient le moment de payer, il ne dit rien, il dépose juste sa part des frais sur le rebord de la caisse. On transfère les bières dans nos sacs à la sortie, puis on va se poser devant l'école, fermée. Alex envoie un message à son père pour dire qu'il peut venir nous chercher, il sera là dans dix minutes. Je m'allume une cigarette. J'observe distraitement Nathan. Je peux figer son visage, son portrait dans ma tête à cet instant précis.

Avec le recul, je pense que moins je te connaissais, plus tu m'attirais. Tu étais entouré de mystère. Tellement d'histoires incroyables pouvaient être tissées autour de ta personne. Tu avais quelque chose de surréel dans ton comportement. J'aurais pu te donner le monde entier.

Nathan, pourquoi tu m'as fait ça...

Tu m'a(b)imes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant