Chapitre 6 | Première soirée

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Une fois devant l'entrée de la fête, je remarque que le reste du groupe n'est plus là. Je soupire. Ils sont rentrés sans nous. Je me dirige vers le guichet pour montrer que j'ai bien seize ans, l'entrée est gratuite pour cet âge-là. J'ai oublié ma carte d'identité, je suis obligée de sortir mon abonnement de bus. J'ai envie de hurler à Nathan de ne pas regarder la tête que j'avais dessus. La femme qui contrôle les cartes me considère longuement. Je ne me ressemble plus vraiment. Quand j'étais plus jeune (j'ai fait cette photo il y a quatre ans maintenant), j'avais des lunettes rectangulaires, plutôt étroites et épaisses, un appareil dentaire, de longs cheveux gras séparés en deux sur le haut de mon crâne. J'avais des grosses bajoues, un menton et un nez ronds. On m'appelait sympathiquement Ugly Betty en primaire. 

La dame finit par me laisser passer. Nathan m'emboîte le pas. Lui n'a pas encore seize ans. On retrouve le reste du groupe un peu plus loin. Math me tend une bière. Alex en tend une à Nathan. Math se penche vers moi pour se faire entendre du mieux possible avec la musique qui monte doucement au fur et à mesure des minutes. Il m'explique qu'il y a trois salles avec trois ambiances différentes. Après il ajoute:

« Il ne s'est vraiment rien passé avec Nathan quand vous étiez seuls tous les deux? »

Je ris jaune:

« Si si, il m'a déclaré sa flamme, je suis l'amour de sa vie, on se marie demain et tu seras le parrain de notre premier enfant. »

Math éclate de rire:

« Dans dix ans, quand t'auras un gosse, je viendrai vraiment réclamer mon rôle de parrain.

- Hey! Je ne te le laisserai pas! Mon enfant ne deviendra pas une racaille de la cité! 

- ... une racaille de la cité...? Ahaha!! »

Je rigole avec lui. Nous croisons nos bras et buvons tous deux d'une traite nos verres respectifs. Alex se précipite vers nous:

« Eeeh attendez buvez pas trop dès le début!! »

Nous rions encore. Nathan a bu la moitié de son verre. Il commence à parler un peu plus, avec Thibault. Je pars avec Math nous rechercher un verre.

***

C'est notre sixième verre. J'ai la tête qui tourne beaucoup, je rigole pour rien. Mais je contrôle parfaitement mes mouvements, donc tout va bien. Ça doit faire deux heures qu'on est là, et autant de temps que nous avons laissé les autres de la bande entre eux. Ils passent leur temps à discuter. Ils ne bougent pas. Ils ne dansent pas. Moi, je danse avec Math. On fait encore des "afonds"; on boit notre verre d'une traite à chaque fois, celui qui finit son verre le plus vite a gagné. Je m'amuse vraiment bien. Je pense qu'on a socialisé avec la moitié de la salle? Quelque chose comme ça. 

Math m'annonce qu'il revient dans deux minutes, il va aux toilettes. Je termine mon verre et vais m'appuyer contre un mur. Un gars vient vers moi. Je vois qui c'est. Il est dans mon école. Il parle à son pote, par dessus son épaule:

« Regarde, elle est complètement jetée, je te parie que je peux la sauter d'une heure. »

Je relève la tête. C'est à Nathan qu'il parle. Je sens un énorme frisson désagréable qui me parcourt tout le corps. Nathan plonge ses yeux dans les miens. Il me regarde très froidement. Il ne sourit pas. Je m'adresse à l'autre, faisant comme si Nathan n'existait pas:

« Même pas en rêve. Même en buvant le double de ce que j'ai bu maintenant, je n'accepterais toujours pas. »

Mon corps me trahit. Une de mes jambes flanche. Je manque de tomber. L'autre m'attrape par le bras et me ramène contre lui. Il pose son autre main dans le bas de mon dos et m'embrasse. Je n'ai plus la force de bouger. Mon corps est anesthésié. J'entends des gars qui rigolent derrière moi. Je ne veux pas ouvrir mes yeux. L'autre me pousse alors, je fais trois malheureux pas pour me rattraper et m'empêcher de tomber. Un autre me prend alors dans ses bras et m'embrasse à son tour. Je serre les dents. Je sens sa langue contre mes lèvres pressées aux siennes. J'ai envie de vomir.

Le gars me lâche, et m'envoie vers quelqu'un d'autre, qui maintient mon corps fermement contre lui avant de m'embrasser à son tour. Les gens rigolent autour de moi. Je peux deviner qu'ils ont formé un cercle autour de moi. Ils sont peut-être six. A nouveau, je suis poussée dans les bras d'un autre. Cet autre m'attrape les poignets, sans violence, m'attire vers lui et m'embrasse. Tout en douceur pour une fois. Je frissonne. Celui-là ne joue pas. Celui-là ne se moque pas. J'entrouvre les yeux. C'est Nathan. Il s'arrête et me regarde d'un air complètement perdu. Il murmure:

« On s'en va. »

Il me prend la main pour ne pas me perdre dans la foule. J'ai envie de pleurer, de me laisser tomber au sol et de ne plus bouger. Derrière, les autres rigolent.

« Eh Nathan, d'où tu te l'appropries? »

Je baisse la tête. Une fois de plus, lui ne réagit pas. 

On sort de la fête, et on s'assied sur le rebord d'un bac à fleurs en pierre. Nathan me dit qu'il va prévenir les autres par message et les attendre ici. Je me sens mal. Je peux me revoir bousculée par tous les autres garçons. Je me lève, je vais saluer le groupe de garçons en face. Je rigole en essayant de trouver leurs prénoms. Ils me tendent une cigarette et du feu. Je peux entendre le crépitement du papier et du tabac, et je jurerais que mes alvéoles, dans mes poumons, crépitent aussi. 

Mes doigts se desserrent, ma cigarette m'échappe.

Je peux apercevoir le regard perplexe du groupe de garçons avant que ne me lâchent mes jambes. Je tombe au sol et tandis que je vois des tas de jambes courir dans ma direction, ma vue se trouble. Les sons sont lointains, les voix deviennent des échos.

Finalement, je perds tout contact avec la réalité.

Tu m'a(b)imes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant