Sept

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Je me réveillai a cause de cris qui raisonnaient dans la maison.
-À table!
Mes paupières avaient du mal à s'ouvrir et un mal de crâne atroce me submergeait. Je me suis relevé tout doucement et j'ai massé mes tempes pour me réveiller.
-À table! Dernière fois! Grinchona-t-elle j'imagine planté sur la première marche des escaliers.
Agacée, j'ai fini par me lever en soufflant. Je descendis l'escalier grinçant en relevant mes cheveux en chignon. Mon tee-shirt sortit de mon pantalon, mon pantalon encore relevé de la plage.
-Ça va c'est bon je suis là. Soufflais-je.
-Enfin! Gronda-t-elle. En versant mes pâtes dans mon assiette.
Nous dînames dans le plus grand des silences. Je ne mangeais presque pas, et ma mère non plus. Ma bouche s'ouvrais et se refermai machinalement. Mon appétit était coupé depuis quelque temps. Même pour mes plats préférés. Je ne mangeais presque plus depuis plusieurs mois. Avant, je pesais cinquante-cinq kilos. Aujourd'hui, j'en fais quarante-six.

Le silence était lourd et pesant. Ma mère avait le regard perdu dans le vide, et moi, je bougeais simplement ma fourchette dans mon assiette laissant un petit crissement contre la porcelaine.
-Elle me manque maman. Dis-je tout bas, les yeux rivés sur mon repas. Je n'arrive pas à dire son prénom. Ces quelques lettres restent coincées dans le fond de ma gorge. Ces paroles restent au plus profond de mon cœur.
-Moi aussi ma chérie.
Elle me gratifie d'un sourire triste puis inspire et expire bruyamment. Il faut que l'on reste forte pour elle. Elle avait pris sa décision.
J'aime quand elle enlève son masque de femme d'affaires. J'aime quand elle me montre ce qu'elle ressent.
C'est peut-être égoïste mais, j'aime savoir que je ne suis pas la seule à souffrir. À avoir un énorme trou dans la poitrine. Chaque fois que mes yeux se posent sur la chaise vide à côté de moi, les souvenirs reviennent comme si c'était hier. Ma soeur avec son magnifique sourire ravageur qui me raconte ses journées, qui me pose toutes sortes de questions sur tout et n'importe quoi. Qui était là pour partager mes fous rires, mes joies, mes peines. J'ai toujours été très proche d'elle. Elle seule savait me faire passer des larmes au rire, hurler de colère...
À chaque fois que j'observe cette fichue place, je la revois à côté de moi. Puis je reviens peu à peu à la réalité et son visage s'estompe. Elle disparaît.

*****

Je mets quelques feuilles dans mon sac puis le pose au pied de mon bureau. J'attrape l'exemplaire de madame de Bovary puis vient m'allonger dans mon lit. J'attrape mon téléphone et tapote l'écran.
À Emma: Tu viens me chercher demain?
Quelques secondes plus tard, mon téléphone vibre sur la couverture blanche de mon lit.
De Emma: Oui je serais là
À Emma: Bonne nuit ❤️
De Emma: Bonne nuit❤️
J'active mon réveil pour cinq heures quarante-cinq puis pose mon téléphone sur la petite table de chevet blanche près de mon lit.
Vingt heures cinquante-trois.

Après avoir lu un chapitre de mon livre, je me lève pour arriver sur mon balcon. Je m'appuie quelques instants sur la rambarde en observant le magnifique croissant de lune qui éclaire mon jardin. L'air est tiède. Je reste quelques minutes a contempler le paysage puis ferme les volets et retourne dans ma chambre.
Je tire un pyjama au hasard de la pile puis referme mon tiroir trop rempli.
Je pénètre dans ma petite salle de bain, ouvre un tiroir et connecte mon mp4 sur une enceinte. Et en quelques secondes, la musique I Don't love you raisonne dans la petite pièce.

L'eau chaude qui coule détend les muscles de mon corps. La première demi-journée de cours a été longue et je me demande bien comment je vais faire pour survivre une année. Je laisse la chaleur me réconforter et étouffer mon chagrin.
Mon esprit ressasse chaque minute de ma journée et j'en viens à pensée pour la première fois à ce Calvin. Comment ça se fait que je ne l'ai jamais vu ?
Dans le lycée Gambetta où je suis, il n'y a que deux classes de ES. Et je connaissais toutes les personnes qui y étaient. Pourquoi pas lui? Je suis certaine de l'avoir déjà vu quelque part, mais où ? Je ne serais pas dire.
Je laisse mes questions sans réponses et arrête l'eau.
Vingt et une heures dix-huit
Je descends en pyjama dans la cuisine, laissant traîner mes pieds nus sur le carrelage froid.
-Oh tu es rentré. Je ne t'ai pas entendu.
Mon père s'approche de moi et me dépose un baiser sur le front.
-Comment-tu vas? Demande-t-il en engloutissant son plat de spaghettis, seul à table.
-J'en sais rien. Je sais que je devrai être heureuse de revoir tout ce petit monde mais, je ne le suis pas...
Il me regarde tristement.
-Tu crois qu'avec le temps, ça ira mieux ?
Il leva ses yeux vers moi pleins d'espoirs et me souria tendrement.
-Le temps soulage les choses. Tu apprendras à reprendre goût à la vie. J'en suis intimement convaincu.
-Je l'espère... soupirais-je en portant mon verre d'eau à ma bouche. J'avala difficilement le liquide qui me brûlait la gorge puis força mes lèvres à sourire pour finir par retourner pas à pas vers ma chambre.
-À demain. Dis-je d'une voix endormie.
-À demain. Et ne t'inquiète pas, tout va bien. Elle aurait aimé que la vie continue normalement.

Flash-back

L'heure de la revoir était enfin arrivée. J'avais passé la plus grande partie de ma nuit à tourner dans mon lit, en imaginant ce que ma grande soeur devait subir. Je voulais juste la voir. La prendre dans mes bras. M'assurer qu'elle allait bien. Me débarrasser de ce foutu mauvais-pressentiment. Mais je savais que le lendemain matin je la reverrais. Elle me l'avait promis.
J'entrai dans le grand parking et me dirigea vers l'entrée principale. Une goute d'eau tomba sur ma main et je releva la tête pour observer le ciel sombre. Le vent se leva et fit parcourir un frisson dans tout mon corps.
J'allais revoir ma soeur. Enfin. Et pourtant je ne l'avais pas quitté depuis très longtemps.
Je vérifiai mon reflet dans les grandes fenêtres du bâtiment. J'ébouriffai d'une main mes cheveux, lissa mes vêtements et avança vers les portes coulissantes. La chaleur vient  tout de suite s'écraser sur mon visage, et une odeur spéciale entre dans mes narines. Sans regarder personne, je me dirigeai instinctivement vers l'ascenseur pour aller au troisième étage.
J'ai toujours aimé l'ambiance des couloirs. Enfin, aimé c'est un grand mot pour parler d'un hôpital. Qui aime l'hôpital ? Il n'y a jamais aucun bruit. Je tourna dans la chambre 321.
Mon regard se posa sur le lit fait.
La pièce était vide. Tout était propre et rangé. Personne ne logeais ici.
Je me suis peut-être trompée ? Je jeta un dernier coupe d'œil à la petite chambre froide et ferma la porte pour regarder le numéro. 321. C'est bien celle-ci. Où est ma soeur ?
J'agrippe les bretelles de mon sac à dos pour cacher ma panique et avança doucement à la recherche de quelqu'un.
À l'embouchure du couloir je tomba nez à nez avec madame Delval, l'infirmière de ma soeur.
-Oh bonjour Alyssa.
-Bonjour madame Delval. Vous ne seriez pas où on a transféré ma soeur ? Sa chambre est vide.
Son visage devint blanc fantôme et son regard s'affaissa.
-Alyssa... Je suis désolé.
Je la fixais essayant de comprendre ce qu'elle voulait me dire. Mes mains étaient pressées contre les lainières de mon sac. Désolé? Désolé pour quoi? Mes yeux restèrent figés sur la peinture verte claire tandis que mon pou s'accélère.
-Venez, allons nous assoir. Chuchota-t-elle en m'entraînant vers les canapés.

Après un regard consolateur, un petit boîtier sonne dans sa poche.
-Je dois y aller. Ça va aller? Passe à l'accueil. Ils vont s'occuper de toi. Je suis désolé Alyssa...
Je suis incapable d'ouvrir la bouche. Je me contente d'acquiser avec ma tête. Plus elle s'enfonce dans le couloir, plus ma vue se trouble. Tout me paraît flou. Je me laisse tomber le long du mur, à présent seule dans cet immense couloir. Mes jambes n'arrivent plus à soutenir le poids de mon corps. On dirait qu'un mur vient de me tomber dessus. C'est impossible. Ma soeur. Ma soeur chérie. Je ne l'a reverrai plus. Plus jamais. Pourquoi? Je ne vois plus rien. Les larmes me brûlaient les yeux. Je ne pensais à rien. J'essayais de me convaincre que tout cela n'était qu'un cauchemar qui prendrait bientôt fin. Ma vision était devenue noire. Et mon esprit allait être noir pour un bon bout de temps.
Un flot de l'arme m'a submergée, me terrassant tel un ouragan, me laissant en proie à des sanglots si violents que je ne parvenais plus à respirer.

Je me réveille en sursaut dans des draps trempés. Je pousse la couverture de mon pied puis me laisse retomber brusquement sur le dos. Je ferme les yeux pour que ma respiration devienne à son rythme habituel mais mes mains ne cessent de trembler.
Quatre heures vingt-huit.
Ma nuit est finie.

Insociable [EN PAUSE, REPRISE CET ÉTÉ]Where stories live. Discover now