I - Gouttes de pluie

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Angleterre, village de Stratford-upon-Avon, 1919

Le hurlement du tonnerre retentit dans la pénombre. 

Il était cinq heures du matin. Le soleil ne s'était pas encore levé, et Hannah n'avait pas fermé l'œil de la nuit. La tempête grondait encore et encore. Étrangement, elle avait quelque chose de réconfortant. Elle l'enveloppait, telle une toile chaude et protectrice. Hannah attendait avec une impatience mêlée d'appréhension le moment où elle disloquerait le silence à nouveau. 

Quelle grotesque sottise de devoir partir d'ici, se dit-elle en se levant pour se préparer un thé. 

À Stratford, il y avait tout. Le chalet de ses parents qu'elle aimait tant, pour commencer. C'était une petite bâtisse, spacieuse à condition d'être moins de cinq à l'intérieur, et il était vrai qu'un franc coup pinceau n'aurait pas fait de mal... mais c'était ici qu'Hannah se sentait chez elle. À Stratford, il y avait également ces adorables cours d'eau, aux bords desquels elle avait appris à pêcher avec son grand-père. Il y avait une infinité de sentiers, dont les parterres environnants croulaient sous les coquelicots. Le village comportait aussi une grande place, où sa mère avait pris l'habitude de l'emmener pour faire le marché. Mille odeurs et des centaines de voix les enivraient alors, les renvoyant repues de sensations au chalet quand le soleil venait à décliner. 

Bien sûr, Hannah aimait profondément cet endroit. C'était celui qui l'avait vu naître. Celui où elle avait fait ses premiers pas, eu ses premières joies et ses premières peines. Elle avait appris à coudre ici, puis à vendre ses créations, lorsqu'elles furent présentables. Quand sa sœur est née, elle lui avait à son tour fait découvrir tout ce qu'elle connaissait, tout ce qui faisait vibrer son cœur. Stratford : son village, son écrin de douceur. Où les noirceurs du monde extérieur ne semblaient pas avoir le bras assez long pour vous atteindre. Le jour de ses 18 ans, il était donc tout naturel qu'Hannah n'aie absolument aucune envie de quitter ce nid douillet et réconfortant. 

Malheureusement, le destin en avait décidé autrement. 

Son père, Charles, travaillait en tant qu'abatteur dans une mine de charbon de la ville voisine aux dimensions titanesques, et travaillait dur pour subvenir à leurs besoins. Abatteur, ce n'était pas le métier le plus agréable du monde, et de loin le moins fatiguant. Charles n'avait que 40 ans en 1919, pourtant, ses mains ankylosées prenaient de plus en plus, d'année en année, l'apparence et la dureté de la pierre qu'elles brisaient. Son dos le faisait évidemment grandement souffrir, et il était souvent obligé de demander à sa femme de le masser des heures durant pour apaiser la douleur. Emily pour sa part, participait aux besoins du foyer en cultivant des légumes et quelques fruits dans le potager. Habile de ses mains, cette petite femme replète aux tâches de rousseur innombrables était également capable de fabriquer de très charmants vêtements qu'elle vendait ensuite au marché. Joyce, la cadette de la famille, n'était pas encore assez âgée pour apporter de contribution, mais elle aidait toujours aux tâches ménagères et aux travaux manuels, armée de son sourire bienveillant et de sa répartie inébranlable. Et malgré cette existence simple et sans fioritures, cette vie lui plaisait. Énormément. Elle n'avait pas envie d'aller voir au-delà des frontières de son village, de s'aventurer plus loin, et encore moins vers Birmingham...

Pourtant, c'est à Birmingham qu'Hannah s'apprêtait à poser ses malles demain. 

La famille Sullivan avait de plus en plus de mal à garder la tête en dehors de l'eau. Deux mauvais hivers consécutifs avaient suivi une réforme de restrictions alimentaires dans tout le pays. Il se murmurait partout qu'une guerre se préparait. Hannah sentait l'ambiance se tendre. Les discussions étaient de plus en plus tournées vers les problèmes financiers des habitants, et les discordes qui en découlaient bien souvent. Les gens s'inquiétaient. Les gens avaient peur. Stratford était un cocon confortable et rassurant, mais il n'était pas inébranlable. Et les habitants commençaient à s'en rendre compte, petit à petit. C'est ainsi qu'après maintes discussions, les parents d'Hannah lui avaient humblement demandé de l'aide. Se rendre à Birmingham offrait beaucoup de possibilités de travail, et ils avaient bien besoin de son soutien... 

Comme si elle allait leur refuser cette main tendue. 

Il était évident qu'elle allait tout faire pour soutenir sa famille. Ils étaient tout pour elle. Mais les rues de Birmingham recèlent de nombreux secrets, ce qu'Hannah était loin d'imaginer...


Black Stallion || PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant