Chapitre deuxième

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Falaise (voix de William « Billie » Stone)

Purée elle est loin la Falaise. Pffou ! Enfin ! Ils se sont enfin arrêtés.

J'ai archi mal aux jambes... c'est leur faute, na ! je vais dire à maman et elle va les gronder les vilains. Bien fait !

O ben alors... y'a un autre enfant ! mais kèkifont ? o non il va lui manger les oreilles. I chont fou ces gens !

D'un coup y'a un méchant qui 'ui enlève les mains. Et après y'a une chanson.

Falaise (voix Mrs. Stone)

Brrr... cette voix me fait frissonner. Je n'ai pas tout compris mais j'ai le pressentiment que cela n'augure rien de bon. Et même que Bob il dit que « quand Amélie a une intuition, on peut miser jusqu'à sa dernière livre dessus » et même que...

Soudain, comme monté sur ressort, Billie sort de nulle part en proclamant d'un ton solennel :

- Les vilains y m'ont fait mal aux jambes ! Nananère !

- Mais que fais-tu là ? demande M. Curli, étonné.

- Je faitula que t'es un vieux shnoque. Répond Billie d'un ton cinglant, ajoutant un geste du pouce sous son menton. Shééé... dans ta face.

Le bec cloué, le docteur manque de s'étouffer avec sa langue. Du coin de l'œil je vois Fred se retenir de rire en se mordant la lèvre inférieure. Puis Billie reprends, interpellant le mystérieux gamin, toujours évanoui :

- Cours, réveille-toi y vont te manger les oreilles !

Je n'arrive pas à expliquer la stupidité de mon fils. Et encore, on a vu pire bien pire, genre : il jette des cailloux par la fenêtre jusqu'à ce qu'on se rende compte que ce sont en vérité des pommes de terres et qu'il hurle : « sauve-toi patate !!!!!! »

Bref, l'intelligence n'est pas toujours héréditaire.

Je sais que vous allez trouver horrible que je parle ainsi de mon fils mais bon, pour être honnête, c'est la vérité.

Alors nous disions donc que cet imbécile de gosse avait bien clashé le vieux, et qu'il incitait un petit garçon évanoui à fuir pour des raisons de cannibalisme. « Allons donc, tout cela est bien normal, ça arrive à tout le monde de secourir un enfant habité par une voix démoniaque au bord d'une falaise suivi par son fils débitant des sornettes » me dis-je ironiquement. Il ne manquerait plus qu'un séisme et quelques astéroïdes. Soudain la terre tremble et trois météorites tombent sur nous !!!!!!!!!!!

Nan, je blague (ha ha ha)

Bon, reprenons notre sérieux et essayons de reprendre le fil des évènements récents.

Comme répondant à l'appel de Billie, l'enfant se réveille et, évaluant sa situation se redresse, tendu comme un arc. On jurerait voir un sprinter olympique attendant le coup de pistolet.

Elle s'égare un peu là. Non ?

Pour une fois je suis d'accord avec toi.

Nous-disions donc que...

On pourrait pas changer de narrateur ? elle devient un peu pénible.

Falaise (voix Fred Mallory)

Mort de rire.

Il m'a toujours fait rire se gosse.

Je regarde le petit garçon étendu au sol et me rends compte que en fait il est debout, à l'affut. Pauvre enfant. J'essaye de prendre ma voix la plus gentille possible et lui adresse cette question, d'un naturel absolu.

- Comment tu t'appelles ?

Déconcerté par ma question, il semble hésiter avant de s'adresser à de parfaits inconnus.

- Je ne sais plus, il me répond d'une voix désespérée.

- Comment ça tu ne te souviens plus de ton nom ?

- Je n'en sais rien, la seule chose dont je me souvienne est ce terrible chant qui trottait dans ma tête, comme un cheval fou sur la lande de Sibérie...

- Tu viens donc de Russie ?

- Comme mille vagues sur un petit rocher, continue-t-il comme s'il ne l'avais pas entendu, comme un ouragan sur le roseau ; comme des sanglots sur une joue, comme la rosée sur la terre sèche ; tel un loup s'ébrouant pour enlever l'épine fichée en sa patte ; comme une sorcière brulée au bûcher ; comme un démon tentant de se réveiller ; comme un démon qui veut du pouvoir ; comme un démon qui veut sa revanche ; comme un démon... qui a faim !!!

Soudain, il sort de sa transe nous regarde et retombe dans les pommes.

///

Comme on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, à partir de maintenant ce sera moi qui narrerai.

Après avoir mis le petit garçon et Billie sur la carriole, le petit groupe retourne à Brume sans vraiment comprendre ce qui s'est passé. Ils vont à l'auberge « la Tanière », où ils posent sur un lit douillet l'enfant, toujours évanoui, et pour la plupart, restent à son chevet. M. Curli, éprouvé par sa matinée, rentre chez lui pour finir sa nuit ; Mlle. Ivanovna commence à préparer un bouillon de légumes (extrêmement bon, d'ailleurs) tandis que Fred continue à lire sa BD.

Seule Mrs Stone reste près de la falaise, à sermonner son idiot de fils.

Au bout de quelques heures, lorsque la matinée est déjà bien avancée, que le brouillard est si épais que les rayons du soleil peinent à filtrer à travers l'obscurité, tout le monde s'est enfin réuni, prêts à tenir un conseil de guerre, ou à entamer un bon repas, éventuellement. Toutefois, la totalité du village attend dans « la Tanière », avide d'explications.

OH et puis ça m'a saoulé de narrer, on change

///

« la Tanière » (voix Fred Mallory)

Je commence à avoir des crampes à force de poireauter ici, et puis on a faim aussi.

Tiens, tiens... le doc semble avoir quitté son matelas pour venir faire un petit discours tout pourri, prenant trois plombes et n'expliquant en rien les récents évènements, pour finalement nous endormir avec ses morales à la con. Et comme s'il m'avait entendu dans mes pensées et qu'il tenait à prouver la véracité de mes dires il commence à parler comme Abraracourcix dans « Astérix le gaulois » :

- Mes amis, vous avez peut-être été choqués par ce qui s'est passé plus tôt dans la matinée, mais je puis vous assurer que tous ici utilisent la moindre parcelle de leur cerveau, la moindre de ses cellules grises, le moindre morceau de son néocortex nerveux, pour élucider les faits quasi surnaturels survenus ce matin. Chacun dont moi-même se démène à comprendre.

Et oui, comme l'homo sapiens sapiens que nous sommes, anxieux et intelligent petit animal, pourvu de conscience et impatient de savoir, bien que minuscule et insignifiant entre les mains de Dieux, nous cherchons à expliquer les choses que nous ne comprenons pas, car on vainc mieux lorsque l'on connaît son ennemi ! Mais cet ennemi est l'ignorance, et l'ignorance est le principal danger qui s'oppose à l'humanité, ennemi que nous vaincrons ensemble !!!!!

C'est bon, je peux me réveiller ?

Vous avouerez quand même que la description que j'avais faite avant le discours était fidèle à la réalité. Il aurait pu se lancer dans la politique, le gredin ! Et encore, cette fois, c'était moins ennuyant que d'habitude. Je sens que personne n'a été trompé par ce discours et que le seul ennemi qu'ils ont en ce moment ce n'est pas l'ignorance mais ce guignol arrogant qui s'ébroue devant eux. Et, à la couleur de son visage, on voit que le guignol était à fond (ou alors de l'encre rouge lui est tombée sur le visage).

Reprenant son air mégalo, le doc vire d'un degré de plus vers l'écarlate, et annonce d'un ton dédaigneux :

- Des questions ?

Et soudain, comme un seul homme, la salle entière leva la main...

FIN DU CHAPITRE DEUXIEME

La Contrée des BrumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant