Chapitre 6

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Je prends sur moi et j'arrête de refiler le rôle de narrateur à de pauvres innocents. Il faut que j'assume mes responsabilités !

Mais oui c'était évident, des fous de bassans ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt. Je me fais vieux sûrement.

Chose étrange, quand les oiseaux ont piaillé, une brume épaisse comme des œufs battus en neige se pose sur la totalité du secteur. Et comme susurré par le brouillard lui-même le chant des oiseaux emplit l'île. C'est ce que disait la chanson : « Le Brouillard s'élèvera. »

Heureusement que les habitants du village connaissent le chemin comme leur poche car on n'y voyait pas plus loin que le bout de son nez et il s'en serait fallu de peu qu'un de nos amis tombe de la Falaise.

Je vous ai expliqué le phénomène du brouillard sur l'île au début du livre n'est-ce pas ? Et bien si vous ne vous en souvenez pas, c'est l'eau chaude due à l'activité volcanique qui entre en contact avec l'eau froide de la mer.

Et quand j'ai entendu la chanson et surtout le vers « quand le feu aura mouillé, la Balise s'allumera » j'ai immédiatement compris que la chanson parlait de fait successifs, chaque évènements d'un vers déclenchant ceux du vers suivant : chant des oiseaux=brouillard, brouillard=feu mouillé, feu mouillé=compréhension du Doc Curli (alias : l'Ancien). C'était ça le dernier vers : « Lorsque l'ancien aura trouvé, les Lumières Blanches seront là. »

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Pendant ma réflexion, c'était comme si la nature avait entendu mes paroles et tentait de les exaucer. Une ligne verte parti du haut de la montagne Wallala, clignota, puis s'immobilisa dans une lumière glacée. En même temps une lueur s'alluma dans les yeux de monsieur Curli. Il avait compris : la Balise, car c'était d'elle que jaillissait ce halot verdâtre, servait de phare au Lumières Blanches. Elle les guidait à travers le brouillard. Restait à savoir ce qu'elles étaient.

A voir la tête des villageois, ils avaient eux aussi compris et décidèrent d'aller se réfugier à Brume le plus vite possible.

Toutefois ils ne bougèrent pas, fascinés par le spectacle qui s'offrait à eux. En regardant en direction du ravin, on voyait des feux follets qui s'approchaient mollement. C'était les Lumières Blanches.

Mrs Stone, regarda Robert (et oui moi aussi je l'appelle comme ça maintenant).

Ses yeux étaient dépourvus de pupilles et d'un noir sans vie. Sa poitrine s'élevait vers la Balise comme tirée par un fil. Les feux follets continuaient à approcher. Au fur et à mesure qu'ils approchaient les pieds de Bob commencèrent à léviter au-dessus du sol. Une fine fumée s'échappa de sa bouche. Il s'envola à deux mètres de haut. Les Lumières Blanches se disposèrent autour de lui. Les villageois ne le voyaient que de dos. Il pivota, des dents longues affutées lui sortaient de la bouche. Il n'était plus lui-même.

Il marmonna quelque chose que personne n'entendit et fit un geste du doigt en direction de ses hôtes et dit :

- Bonjour. Excusez-moi si je vous ai quelque peu effrayés. Je vous dois des explications. Je me présente, Roi des Démons. Je ne peux pas venir ici moi-même alors j'emploie des avatars, ou Messagers, tout dépend de comment on les appelle. Je transmets ma conscience en leurs enveloppes charnelles pour vous parler ou tout simplement pour mouvoir leur corps d'une manière qu'ils n'auraient pas réussie à faire sans mes pouvoirs. Robert, comme vous l'appelez, est un Messager. Quand je l'aurais quitté il redeviendra un simple humain. Votre présence ici n'a qu'un seul but : donner le pouvoir à mes confrères démons et à moi-même leur roi, de venir en personne dans votre monde. On ne sait pas ce qui nous empêche de venir mais on sait comment le neutraliser. Il se trouve que parmi vous, et malgré mes efforts, je ne parviens pas à identifier qui. Les Lumières Blanches ici présentes ont la capacité de révéler chacun jusqu'au plus profond de son être. Votre collaboration ne sera pas forcément utile car celui qui possède le pouvoir de nous repousser ne le sait pas lui-même. Mais mon éventail d'action dans votre monde se réduit à vous parler et à vous isoler. C'est donc vous qui démasquerez, consciemment ou non, mon ennemi. A ce moment, celui qui sera parvenu à trouver le mystérieux individu rejoindra le Cercle des Démons. Ce dernier bénéficiera alors d'une puissance infinie et de l'immortalité.

Le flux d'information est bien parvenu au villageois. Mais personne ne paraissait tenté par la vie éternelle. Miss Ivanova prit la parole :

- Et que se passera-il lorsque vous parviendrez dans notre monde ? et pourquoi voulez-vous y parvenir ?

Cette question parut troubler le Démon dans le corps de l'enfant.

- Je ne peux pas vous le dire pour l'instant. Je peux juste vous dire que tout changera, pour les morts comme pour les vivants.

Mr. Curli ne s'était pas intéressé aux dernières phrases. Il se demandait jusqu'au plus profond de son être qui était ce mystérieux individu que les Démons craignaient tant. Peut-être était-ce lui ? Il était certain du contraire.

Une autre chose le tourmentait, quel était le véritable pouvoir des Lumières Blanches ? Il ne se gêna pas pour le demander, tel un élève à son maître d'école :

- Comment font les Lumières Blanches pour révéler qui nous sommes ?

- En fait, elles vous donnent juste le moyen de le découvrir par vous-même, répondit le démon, elles ôtent de votre esprit toute pudeur et méfiance. Vous exposerez vos réponses telles quelles sans faire ce tri inconscient qui vous masque aux autres plus sûrement qu'un mur de pierres. Elles vous forceront également à vous confesser aux autres. Elles me transmettront aussi certaines de vos pensées. Rien de bien méchant.

- O.K.

- Mon énergie s'épuise : je dois vous quitter.

En disant ses mots, le corps de Bob, comme un pantin inanimé, chuta.

En même temps, les feux follets enflèrent, et, en un hurlement déchaîné, ils foncèrent sur les villageois, pénétrèrent en leur corps. Ces derniers, habités par une force qui n'était pas la leur, s'évanouirent. Leur corps boursouflés et luminescents tombèrent en un bruit sourd.

Seul Robert resta épargné des Lumières Blanches.

Le brouillard s'intensifia encore et on n'y vit plus rien.

L'obscurité était totale, le silence aussi.

Seuls les cauchemars des villageois évanouis perçaient presque la brume.

La chanson s'était exaucée.

La Contrée des BrumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant