La paysanne au dos courbé par le poids des ans et la pénibilité des travaux de champs avançait sur la lande endormie. Elle s'était un peu trop attardée à la recherche de champignons dans la forêt et se hâtait de rentrer avant la nuit. Au loin se dressaient les contreforts des Hauts Confins, une immense chaine de montagnes infranchissable, qui, disait-on, protégeaient le royaume de sombres créatures qui vivaient de l'autre côté.
Et il est vrai que la lande abritait un bestiaire plutôt inquiétant. La règle d'or si l'on voulait vivre vieux dans ces contrées était de ne jamais sortir la nuit. De temps à autre, une tête de bétail manquait à l'appel le matin. On n'en retrouvait jamais de traces. On ne partait jamais à sa recherche de peur de tomber sur l'auteur du méfait. Si c'était là la juste rétribution pour vivre en paix, les habitants l'acceptaient avec grâce.
Elle se redressa quelque peu, observant le paysage et le disque solaire sur la ligne d'horizon et décida de couper par le marais pour gagner un peu de temps. Il fallait se méfier des flaques traitres qui abritaient parfois des trous bien plus profonds et des rochers qui abritaient des serpents aux corps plus gros que la cuisse d'un robuste guerrier. Mais depuis le temps, elle connaissait le marais par cœur et n'avait pas de crainte de s'y aventurer.
Son fils l'attendait dans l'encadrement de la porte de leur masure. Il parcourut la lande du regard, estima le peu de jour qu'il restait et entra enfiler ses bottes pour partir à sa rencontre. Il attrapa un arc, quelques flèches héla son chien et descendit le sentier.
Arrivé à proximité du marais, le chien s'arrêta brusquement. Il huma l'air puis grogna sans discontinuer, le poil hérissé sur la nuque. Soudain, il dressa les oreilles et s'enfuit en gémissant pour se cacher derrière le tronc d'un arbre famélique à une centaine de pas de là. Le jeune homme hésita, son regard allant du chien terrorisé au marais ; puis il carra les épaules, banda son arc, encocha une flèche et reprit sa route, accompagné par des jappements plaintifs.
Un arbre se dressait devant lui. Ses branches noires comme la nuit poussaient toutes vers le sol au lieu de pointer vers le soleil, comme accablées par la pesanteur ou attirées par les nutriments du marais. Un serpent rouge, aussi long que son arc, quitta l'abri de l'arbre en sifflant à son approche, puis ce fut le silence. Pas le moindre pépiement d'oiseau, pas de croassement. Même les herbes hautes cessèrent leur bruissement.
Il distingua une forme plus sombre que l'arbre contre son tronc, pas plus grande qu'un sac de pommes de terre. Il s'en approcha, une flèche encochée le précédent de quelques centimètres.
Il resta pantois, le temps d'analyser ce que ses yeux découvraient.
Une main sanguinolente était toujours crispée sur l'anse du panier à champignon. Son regard suivit le bras, glissa le long de l'épaule pour s'attarder sur un visage déformé par la peur, redescendit le long de... rien! La tête de sa mère le contemplait de ses yeux emplis d'effrois. Une coupe nette, en diagonale, partait de sous l'aisselle droite, sur laquelle était encore accroché le bras, jusqu'à la clavicule gauche. Elle reposait là, au pied de l'arbre, son bras restant faisant office de stabilisateur.
Pétrifié par la stupeur et le chagrin, il resta un bon moment, l'oeil rivé sur ce que fut sa mère. Le soleil se coucha pour de bon, emportant avec lui le spectacle macabre.
Un énorme bruit d'éclaboussures le sortit de sa transe. Une gigantesque créature venait de plonger dans les profondeurs du marais.
Les habitants du marais reprirent leur concert de coassements, sifflements, glouloutis et hurlements, tandis que les hautes herbes bruissaient et que le chien couard accourait en aboyant joyeusement.
Il huma la carcasse sanglante puis s'assit sagement aux pieds de son maître et attendit.
VOUS LISEZ
Le Bretteur et la créature du marais.
PertualanganDans un monde où la morale et le sens de l'honneur ne sont plus que de vains mots, des meurtres effroyables terrifient les habitants de la Lande. L'association d'un barde, sorcier et voleur et d'un homme d'épée pourrait bien mettre un terme à tout...