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Après une longue heure à me lamenter sur mon sort, j'avais fini par ravaler mes pleurs et me remettre sur pieds. Mais quand mes sens reprirent place, tout était devenu triste, tout était devenu sombre. Plus rien ne brillait. Plus rien ne me rendait léger. J'étais à présent pourvu d'un poids qui ne me laisserait jamais. Je remontai dans la chambre. Celle qui contenait tous les souvenirs de notre amour et de nos caresses. Je m'emparai de mon sac à dos et y remis chacun de mes vêtements un par un. Comme si le faire en douceur pouvait apaiser la douleur. Une fois qu'il ne restât plus rien de moi dans la maison, je descendis au salon puis m'emparai d'une feuille et d'un crayon. Là, j'écrivis une lettre à TaeHyung. Je limitai mes mots. Je contenais mon supplice. Je fis bonne figure et me donnai l'air insensible. Je lui dis que j'étais désolé et que je partais. Je lui dis que je partais pour cette durée longue qu'on appelle toujours. En quelques traits que je gravai de mon sang, je lui dis qu'il ne devait pas tenter de me retrouver. Oui, je lui annonçai que tout était terminé. Et ce, à jamais.

La main tremblante j'abandonnai le papier sur le piano brun et ouvris la porte d'entrée. Je délaissai la maison. Je marchai loin d'elle sans me retourner. Je la quittai et j'égarai tout ce qui avait été moi là-bas.

D'un pas traînant, sans motivation autre que l'obéissance, je rejoignis la ville et achetai un billet de retour à la station de bus. Je dépensai mes derniers moyens pour replonger dans les ténèbres. Je les dépensai pour être sûr de ne pas faire demi-tour. Je me retrouvais donc assis sur un banc alors que le soleil pointait enfin le bout de son nez. Les gens passaient sur le trottoir sans me voir. Je ne les voyais pas non plus. J'étais isolé du reste du monde. J'attendis la machine longtemps, ne bougeant pas d'un millimètre. Enfin, tandis que l'asphalte se teintait d'orange, je la vis arriver. Elle s'arrêta au bord du trottoir et fit coulisser la porte. Sa carlingue verte était écaillée. Elle me faisait froid dans le dos. Pourtant je reposai mon sac sur mes épaules et m'apprêtai à monter quand un cri retentit derrière moi. Je fis volte-face à temps pour voir TaeHyung arriver en courant, se saisir de ma chemise et me pousser contre le coque en fer. Je me cognai dans un fracas mais ne ressentis rien d'autre que sa chaleur toute proche envahissant ma bulle gelée. Son si beau visage était couvert de larmes et ses yeux emplis de souffrance. Ma lettre chiffonnée trônait entre ses doigts faibles. Tout son être vibrait du mal que je lui infligeais. Il resserra sa prise sur le tissu et demanda en criant à moitié :

« -Qu'est-ce que c'est que cette histoire JungKook ? Qu'est-ce que tu racontes ? C'est n'importe quoi ! C'est n'importe quoi ! Tu ne peux pas partir !»

Le cœur en morceaux, je m'obligeai à lui répondre sans perdre le contrôle.

« -Il faut que je parte TaeHyung.
-Pourquoi ? Pourquoi ?! Dis-moi ! Je veux comprendre !

-C'est trop compliqué...

-Dis-moi ! Explique-toi ! Tu n'as pas le droit de m'abandonner comme ça !
Sans explications, sans raisons valables, tu n'as pas le droit ! Dis-moi pourquoi ! Ne me laisse pas croire que toute cette histoire n'était pas réelle. Ce n'était rien pour toi ?

-Non ce n'était pas rien ! M'exclamai-je soudain, poussé par la vague de mon amour pour lui et par le désespoir. Mais je dois partir, je n'ai pas le choix !

-Pourquoi ? Répliqua-t-il encore et encore. »

Alors à bout de souffle, suffocant sous cette pression insurmontable, la vérité s'échappa de ma gorge, réveillant ma blessure sanglante.

« -Je vais me marier TaeHyung.»

Tout d'un coup, la colère quitta ses yeux. Tout d'un coup, il n'y eut plus que l'incompréhension et la peine. C'était monstrueux. Cette vie était monstrueuse.

« -Quoi ? Qu'est-ce que... Tu mens. Tu ne peux pas... JungKook, dis-moi que c'est faux. »

Les mots me manquaient. Je n'arrivai plus à aligner deux phrases sans me mettre à pleurer. Je dus fermer les yeux et baisser la tête pour contenir ce qui, en moi, menaçait d'exploser en dévorant les alentours si paisibles. Lui, continua de nier, de refuser cette vérité qui s'abattait au dessus de nos têtes. Les rayons du soleil nous couvrirent et je ne sentis pas leur chaleur. Je posai alors mes mains sur les épaules de TaeHyung pour le raisonner.

« -Arrête d'empirer les choses, le priai-je d'une voix enrouée. C'est la vérité. Il faut que je m'en aille...

-Mais pourquoi m'as-tu menti ?!
Pourquoi m'as-tu fait croire que c'était possible ? Et mon amour qu'est-ce que tu en fais ?

-Je croyais aussi que c'était possible !
Et ça aurait pu l'être, seulement voilà, je vais me marier ! Et je n'ai pas le choix !

-Se marier c'est un choix JungKook !

-Pas pour moi ! M'exclamai-je. »

Il ne comprenait pas. Ses pupilles dilatées tremblaient et remuaient les miennes pour trouver une explication à tout ce mal. Je dus dénouer la corde au creux de mon cou pour lui expliquer. Je dus lui dire que ma famille était pauvre. Je dus lui avouer que mes parents s'obsédaient à résoudre leurs problèmes financiers. Je dus lui exposer leurs projets de mariage avec un bon parti qui pourrait nous assurer le bonheur à tous. Et en fin compte, tout ce qu'il y avait à comprendre, c'était que j'étais le moyen pour mon sang de regagner son honneur. Tout ce qu'il y avait à retenir, c'était que nous avions échoué à ce jeu contre la vie. Et rien d'autre. A la fin de mon discours, il passa une main sur son visage pour froisser ses paupières trempées, il se recula et me lança :

« -Alors va-t-en. Si c'est ça, va-t-en. Va-t-en avec elle ! Va jouer au bon fils et laisse moi là ! Et ne me dis pas que tu n'as pas le choix, car tu préfères exaucer le désir de tes parents au lieu du tien. Et ça c'est ton choix. »

Il fit suffisamment de pas en arrière pour remonter sur le trottoir et me faire comprendre qu'il ne me pousserait pas dans ce bus. Alors j'y entrai seul. Je ne cherchais plus à camoufler mon chagrin. J'étais un livre ouvert, mis à nu, privé de tout ce dont j'avais besoin. A peine étais-je monté que la porte se referma. Je posai une main sur le carreau et mordis ma lèvre en le voyant là. Déjà loin de moi. Déjà emporté par un contre-courant trop fort. Je le vis s'éloigner. Il me regardait sombrement. Je le regardais sombrement. Et je le perdais de vue. Je le perdais tout court. Et au fond, je tentai de me dire que c'était mieux ainsi. Qu'il valait probablement suivre la route en bêton et ne pas scruter le passé.

Blue House - TaeKookWhere stories live. Discover now