Chapitre 12 > Pas de serviette.

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Lucien aussi, s'était calmé.
Il y eut un blanc vraiment pesant, parmi le groupe.

Le silence dura même à table.

Sans réfléchir, je brise enfin l'ambiance pourrit, et rassure Caroline, comme je me l'étais due : 《Caro' t'en fais vraiment pas pour toute à l'heure.
T'es pas au courant de ce qu'il s'est passé plus tôt, je ne vois pas en quoi je pourrais t'en vouloir.
Et même si tu savais, je ne t'en voudrais pas non plus pour ça. De plus, c'était de l'humour, donc...
ー Merci beaucoup, Raven! Me sourit-elle d'un air ému. Ça me réchauffe le coeur pour elle, quand Lucien revient pour tout casser, à côté : J'vois pas à quoi ça nous mène. C'était bien mieux dans le calme.
ー La FERME putain, Lucien.》

Je lui lance ma dernière tranche de pain tartinée, par réflexe, et il la reçoit en plein dans la figure.

Ne terminant que mon verre de jus d'orange, je le laisse méditer avec la confiture de fraise sur la joue gauche, et la tartine tombant sur sa cuisse, face beurrée.

Je sors de table, me dirige vers les trieurs et je trie assiette, verre et couverts, pose le plateau sur sa pile et jette les papiers à la poubelle.

Les hauts-parleurs s'activent, et une voix familière se fait entendre :

《RAVEN CORAX, ET LUCIEN AQUILA. AU BUREAU.》

Kevin soulignerait même :
《Dans la série : "je suis convoquée" aujourd'hui, pour une tartine!
ー Imbécile, me fait pas rire dans une situation pareille...》

Je roule des yeux, et râle à voix haute plutôt que dans ma tête :《Purée, qu'elle va être belle, la journée.》

Je sors de la salle, et me dirige vers l'ascenseur, tranquilement.
Je l'appelle, et patiente, puis ses portes s'ouvrent.

Lorsque je me retourne, Lucien m'a rattrapé, mais est encore à une dizaine de mètres. Je bloque la fermeture, et l'attends.

Je perçois encore la confiture sur sa joue droite, au loin.

Pourquoi ne l'a-t-il pas essuyé, cet idiot!
Il n'a pas pris de serviette?

Une fois entré dans la boîte, je fais fermer les portes, appuie sur le bouton du sixième, puis lui demande :《Tu n'avais pas pris de serviette?
ー 'Zappé. Me fait-il simplement.
ー Eeet tu n'as pas demandé à quelqu'un de t'en donner une?
ー Non.
ー Imbécile.
ー ...》

Je commence à être un peu gênée du silence et de la trace qu'il a que la joue. Je culpabilise un peu de m'être emportée, et fouille dans mes poches pour voir si j'ai un paquet de mouchoir. Yesss!
Je souris légèrement, toute contente, et en sors un mouchoir.

Je fais disparaître le sourire, ravale ma salive, inspire un bon coup, me mets face à lui et le regarde droit dans les yeux - contre toute attente, il me regarde aussi -; je ne le laisse pas riposter ou refuser mon offre, en montrant le tissus sur ma paume, et levant la main :
《Là. Je veux juste essuyer.》

Il ne répond pas et se laisse faire, pendant que je porte ma main droite à sa mâchoire pour tourner sa tête doucement sur le côté, et mieux atteindre la zone de ma main gauche, dotée du tissus. Je reste concentrée sur la tâche, les sourcils froncés, délicate et efficace à la fois, dans une caresse un peu appuyée pour récupérer toute la confiture sur le mouchoir, et un mouvement  en ma direction, en forme de petit cercle. Il tourne la tête lentement face à moi quand je retire le mouchoir, et me fixe de ses yeux verrons.

Je vérifie qu'il ne reste rien, et replie le mouchoir, en souriant, fier de moi au fond.

Il me fixe encore, et je pouffe, nerveusement :《Quoi?
ー Je sais pas trop comment prendre ce geste. T'es quelqu'un.》

Ses mots m'en font perdre mon sourire nerveux, et claquent dans ma tête. Je ressens un picotement sur les tampes.

Je me remets à sa droite, les mains tremblantes.
Ma tête chauffe rapidement, et je porte mes mains à mes joues et mon front. Mes mains que je trouve froides.

Je dois être toute rouge.
On ne m'avait jamais dis : "T'es quelqu'un." En tout cas pas avec une telle profondeur, pas avec cette signification péjorative que les mots peuvent laisser en fonction du ton et de la situation. C'en est presque troublant.

Je suis en train de perdre mes moyens en réécoutant ces mots précis, puis je me reprends soudainement, et lui réponds :
《Alors prends-le comme un "pardon".》

J'ai pas l'habitude de dire ce genre de choses. Et je ne sais pas pourquoi, mais ça fait du bien. Je me sens réchauffée pour lui, en quelque sorte. Ça me fait sourire.

Les portes s'ouvrent et donnent sur cette fameuse salle...
Qui a changé de décoration. Mon sourire s'agrandit par nervosité, et je passe ma main dans mes cheveux, les yeux ronds.

Comment c'est possible?
Dans quel lapse de temps!
Est-ce que je suis folle?

Mentalement, je panique complètement juste en sortant de la boîte. La salle est maintenant agencée comme un véritable bureau de travail, administratif et propre.

Je regarde Mère : elle est habillée d'un ensemble veste et escarpins beiges, de collants couleur chair avec des motifs arabes plus foncés, une robe blanche et une fine chaîne en or autour du cou dont le pendentif forme un caligramme, peut-être un kanji. Je suis tellement impressionnée que je n'en fais plus attention au décor.
Elle a même caché les dessins stylés qu'il y a sous ses yeux, même si on percevoit encore leurs formes, via une couleur plus foncée qui se démarque de sa couleur de peau naturelle. Ses boucles d'oreilles n'ont néanmoins pas changé d'un iota.

Lucien me rappelle qu'on est sur la planète Terre, et pas une autre, et va pour me pousser gentiment par le dos quand j'avance de moi-même.

Je déteste la sensation d'avoir quelqu'un dans le dos, et je déteste avoir quelqu'un dans le dos qui me pousse ou touche tout simplement ce côté. Le simple fait de sentir un contact sur mes épaules par derrière me met en rogne.

Légèrement surpris par ma réaction, il avance quand même, à ma gauche. Mes yeux sont toujours rivés sur Mère, et nous nous arrêtons devant le bureau, en attente de quelleconques paroles, qui ne se font pas attendre plus longtemps :
《Je vous ai convoqué pour votre première mission ensemble.》

Boom.

SLOWLY CLOSER [Fan-Fiction CODE ROUGE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant