Maitenant ~ 7

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-Bonjour les filles, je vous apporte de quoi manger. Angèle, tu as rendez vous avec la thérapeute dans une demi-heure.

Je me tourne vers Angèle pour guetter sa réaction. C'est sans surprise que, comme d'habitude, je la vois ignorant notre infirmière, la tête enfoncée dans son oreiller. Elle se retient de demander "Je suis obligée d'y aller?" car elle sait que c'est inutile.
On a le choix de rien ici, sauf quand il s'agit soit de faire plaisir aux autres, soit de faire plaisir aux autres. Ils veulent qu'on guérissent pour qu'ils aient la sensation d'avoir accompli leur travail, pour ne pas culpabiliser. Mais sûrement pas pour nous car si c'était le cas, peut être qu'ils chercheraient plus à nous comprendre.

Le plateau posé sur la table de chevet et l'infirmière partie, le silence que je connais depuis maintenant une semaine, seulement interrompu par les crises de ma "colocatrice", se réinstalle.

Toujours le même dilemme: manger ou pas. Grossir ou pas. Guérir ou pas. Réussir ou pas.
De toute façon, j'attends que Angèle soit partie pour manger. J'ai honte de me nourrir devant elle, comme si je la trahissait elle et moi même.

Son plateau et vide. Je sais que c'est la dernière chose à dire, mais pourtant les mots m'échappent:

-Tu devrais manger avant d'y aller.

Elle me crache sans même me regarder:

-Mais je t'en prie, à toi l'honneur, commence.

Ces paroles sont innocentes en elle même, mais le sous-entendu qu'elle cache me fait mal et c'est ce qu' Angèle voulait.

-Oh non, priorité aux cas critiques.

Je n'ai pas besoin de la voir pour savoir qu'elle s'est tendue. J'en rajoute une couche :

-Vas y, vient me frapper! Ah mais non c'est vrai que tu va avoir du mal à te lever...

Elle grogne:

-Ferme la.

C'est ce que je fais. Car je viens de me rendre compte de ce que je venais de dire. Qu'est ce qui m'avais pris? En plus d'être un monstre physiquement, en suis-je un mentalement? Là, dans ces draps blancs, entre ces murs blancs, je n'ai jamais eu autant l'impression d'être la tâche noire, la laideur, la mauvaise toujours là pour faire ce qu'il ne faut pas.
Ne me contrôlant plus, je prends le plateau et commence à manger. C'est un réflexe que j'ai. Manger c'est me punir. Me punir d'être ce que je suis. Dès que je vais mal, la faim se réveille, comme pour en rajouter, alors je mange, je mange encore et encore pour ne plus penser à rien.

Une fois mon plateau fini, c'est comme si je me réveille d'une transe. Tous ce qu'il contenait n'est plus là... Il est en moi, je l'ai englouti comme un ogre.
Je sens Angèle qui me fixe, mais n'ose pas affronter son regard. Je n'ai pas envie d'y voir de la pitié et du mépris. Je l'éprouve déjà assez pour ne pas rajouter celle des autres.

Les pas de notre infirmière qui arrive brise le silence. Je sursaute légèrement en voyant Angèle bondir de son lit et échangé nos deux plateaux.

-Ne dis rien, m'ordonne t'elle de son éternelle voix froide.

Je n'ai pas le temps de renchérir que l'infirmière entre. Son premier réflexe est de regarder nos plateaux. Je manque hurler lorsqu'elle dit:

-C'est bien Angèle tu as tout pris! Par contre Rebecca, n'oublie pas de manger, ne serait-ce qu'un peu.

J'aurais aimer que ça soit vrai. Que ça soit moi qui ai réellement résister à ma faim. Sauf que non, c'est moi qui ai tout manger, c'est moi qui ai honte et c'est Angèle qui en profite et se fait féliciter.
Toujours les mêmes schémas qui se reproduise, jusque dans les endroits où je pourrais au moins espérer me détacher de ma vie.

Ma lutte contre moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant