Bleu néon.

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Bleu néon.

Le monde horripilant me surplombait. Le passé crépusculaire me talonnait. Le présent cru me traînait avec lui. Le futur n'avait pas d'adjectif. L'avenir n'était qu'un morceau d'imaginaire. Un tableau d'espérance que le présent bafouerait de ses pieds.

Le futur était une plaisanterie que nous faisait la vie. Une lame qui dérape. Un pied qui trébuche. Trop d'alcool. Pas assez d'adresse. Et l'avenir n'était plus. Ne qualifiez pas l'avenir. Ne parlez pas au futur. N'utilisez que le conditionnel.

Je marchais encore alors que sonnait minuit. J'étais perdu. Ma boussole ne semblait pas cassée. J'avais simplement décidé de la balancer par dessus bord. Je marchais et puis c'était tout. Je tournais parfois en rond. J'allais parfois plus droit que l'horizon. Je frôlais les coins de rues et terrassais la carlingue de ces bêtes. Chat noir enragé, que la solitude même voulait éviter. Je marchais mais n'avançais pas. Cruel destin qui se jouait de mes jambes et de mon ciel. J'étais enfermé sur moi-même. New York n'était qu'une grand boîte sans fond. Une bombe à retardement manquant de se replier en son sein. Arrêtant ma chute. Transperçant ma chair.

Cette grande masse noir qui dépassait les buildings ressemblait aux cieux. Mais ce n'étaient pas eux. Ce n'était qu'un plafond si étroit qu'il me paraissait loin. Un trompe l'œil repeint avec les couleurs de la Liberté.

Et moi je cherchais la Liberté. La vraie. Ou du moins, je cherchais quelque chose. J'errais pour me débarrasser de mes démons. Ça revenait au même. Si vous l'aviez ressenti, vous auriez dit oui. Et la Liberté se cachait au milieu de la Nuit.

Nuit d'Hiver. Nuit d'Enfer. Ne sois pas comme ça. Ne sois pas comme moi.

J'arrivai devant une enseigne crachotante de lumière, à quelques pas d'un parc touffu. Elle attrapa mes pupilles alors que jusque là, rien n'avait eu cette couleur. Je cessai de me précipiter tête baissée et toisai les courbes muettes. Elles me dictaient d'entrer. Elles emplissaient mon crâne chaotique d'un ordre stricte. L'atmosphère compacte et viciée chatouillait déjà mes narines. New York ne dormait jamais vraiment. Les vagabonds se pavanaient continuellement entre ses dents. Et j'étais comme eux. C'est sûrement pour ça que je me suis laissé prendre par les néons irradiant la porte de l'hôtel particulier.

Je traversai le hall un peu trop beige à mon goût et m'engouffrai dans la grande salle. L'ambiance interchronique balayait le sol de ses feux troubles. Il y avait une scène où s'égosillait un type aux cheveux longs, grisés par le chagrin. Alors qu'un autre en costard mal taillé baladait ses doigts sur le piano noir et blanc. Il y avait des gens, des tables et des gens autour des tables. Enfin, pas beaucoup de gens. Quelques égarés qui avaient décidé d'embrasser la fièvre nocturne à pleine bouche. Des solitaires ou des groupes aux débats sans panaches, répandant leurs vapeurs autour des lustres de verre.

Je n'étais plus trempé. Mais il y avait toujours écrit « Malade » sur mon front. Vous étiez peut être dans la salle. Si oui, vous ne m'avez pas vu. Pas entendu. Pas parlé. Comme si je n'avais pas existé. Jamais.

Je me baladais sans savoir où aller, perdu dans le nuage toxique de leurs cigarettes. Car bien que tenues avec une élégance avant-gardiste, elles demeuraient dessalantes et mortelles. Contournant soigneusement ce qui semblait être la piste de danse, je m'aventurais près du bar. Un vieux dégarni mourrait entre trois bouteilles de Jean. Il me jeta un regard mauvais qui me fit reprendre ma route dans cette cage apocalyptique. Chavirant sur des eaux instables, j'aperçus une horde de filles jacassant autour de bières un tantinet trop chères. Elle riaient fort. Fort. Mais elles ne l'emportaient pas sur la musique. Rien ne l'emportait jamais sur la musique.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant