Bleu gravier.

666 77 20
                                    


Bleu gravier.

C'était de l'art. Plus éloquent que les mots. Plus coloré qu'un tableau. Plus puissant que la vague d'un tsunami. C'était de l'art humain. La foule qui se frôlait, qui se complétait et qui s'entraînait. Tous ses humains se mettant d'accord le temps d'une bonne musique. Elle les possédait et les faisait tourner. Leurs fronts en sueur, leurs veines grossies et leur peau brûlante faisant planer l'extase dans cet oxygène intoxiqué par la folie nocturne. Ce bal nuptial, cette débandade de joie et de notes toujours plus tentantes à mesure que la musique montait, montait, grimpait pour fendiller le plafond et s'envoler vers les cieux spirituels. Il faisait chaud et les sangs bouillonnaient sous leur peau rougeoyante. Telles des pierres précieuses venant retapisser l'ordre des choses de leurs pirouettes sauvages, de leur fureur animale.

Ils étaient au comble d'un bonheur secret. Celui de l'instant. Celui qui nous persuade que tout dure toujours. Que la vie est une merveille et non un piège. Ce genre d'instant extra-terrestre qui nous éloigne du sol pour qu'on puisse oublier entre nos membres déchaînés et nos vulgaires arabesques que tout ce bonheur disparaîtra, de même que nos souffles vaporeux et notre sueur sucrée.

Je les voyais s'aimer passionnément, s'enlacer, se tenir du bout des doigts et briller férocement. A en faire pâlir les étoiles. A en faire ternir la grande lune. Il n'y avait plus d'étincelle raisonnée au creux de leurs iris. Ils s'emportaient pour chaque tressautement musical, pour chaque expiration silencieuse de leur partenaire. Et ils tournaient, se caressaient de gestes rêveurs mais aimants. Ils plongeaient en eux-même mais aussi dans tous les autres. Et ils ne faisaient plus qu'un avec cette musique divine. Les filles dans leurs robes faisaient voler les rubans qui ornaient leur douce chevelure. Les garçons ne se méfiaient d'aucune apparence. Faisant la guerre autant que l'amour. Et nous tous, dans cette salle ardente, n'étions plus les esclaves de quiconque, si ce n'est de ces instruments ensorcelants, de ces voix qui chantaient et s'exclamaient pour la victoire de l'art humain.

Je me mêlai à leurs pensées libres. J'étais à la fois entre leurs mains adroites, leurs cœurs battants, la braise de leurs cigarettes, et les flammes dans leurs cheveux. J'étais là, envieux et satisfait. J'étais là et moi, JungKook, prisonnier en cavale, je trouvais du sens à chacune de ces folies. Quand j'observai le garçon, TaeHyung. Grand, beau, scintillant dans sa justesse et son libre mouvement. Il faisait tournoyer sa douce compagne d'un effleurement brutal et souriait avec les feux des astres. Il dansait et dansait toujours. Loin de nous, loin d'eux, et pourtant collé à nos cerveaux. Car toutes nos âmes se mélangeaient et s'aimaient d'un amour inconvenant, si plaisant, si instantané que rien n'aurait plus l'arrêter. Il se laissait porter par une fièvre plus profonde que celle dans ses yeux. Il étincelait au milieu de toutes les lumières. Et jamais il ne restait avec la même partenaire. Chaque fois il semblait tomber un peu amoureux de la fille qu'il faisait virevolter, pour ainsi l'oublier quelques instant après. Il était soumis au rythme fougueux et fuyant d'une entité probablement diabolique.

Je ne voyais que lui. Il était différent. Différent de l'image inscrite derrière mes paupières fanées. Soudain je me pris d'une fascination rayonnante, d'un engouement sans nom pour ses actes et ses sourires. C'était subitement plus beau que tout ce que j'avais vu ce jour là. Cette démence emplissait mon eau chamboulée par ce tourbillon incompréhensible. Je me surpris à sourire et à sortir quelque peu de cette immobilité qui était toujours la mienne. Plus je lorgnai sur ses manchettes déboutonnées, sa chemise chiffonné, ses prunelles incandescentes et ses cheveux bataillé, plus je quittai mon état de statue. C'était une transe nouvelle. Une béatitude indicible.

Il posa ses deux cristaux en flammes dans les miens et son expression changea. Le morceau s'arrêta comme un train se stoppe. TaeHyung salua sa camarade d'une danse et sourit. Une autre chanson débuta alors que les cris reprenaient, comme le train qui redémarre. TaeHyung s'approcha de moi, fendant la foule à la façon de Moïse traversant la mer. Les valses et leurs merveilles populaires s'évertuaient, en réclamant plus, toujours plus.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant