Bleu fumée.

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Bleu fumée.

L'air, le vrai, caressait mon visage alors que je plongeais mes mains dans mes poches et que je traçais ma route. Je marchais entre les villas élégantes. Jumelles clonées et répétées jusqu'à l'infini. Aussi conditionnées à un charme artificiel que ceux vivant à l'intérieur. Je me sentais bien, juste un peu étriqué sur cette longue route cernée de caisses reluisantes. Les voitures étaient bien propres, bien lavées et sur-astiquées, et s'il avait fait jour vous auriez pu voir comme le gazon des jardins était vert. Qui de soi ou de son voisin fera le plus d'étincelles ? Petites préoccupations de petits gens dans un petit quartier.
J'avais presque à regret la nuit tombée, car leur absence n'avait rien d'amusant. En plein jour, ils m'ignoraient et semblaient m'accabler de toute la misère du monde. Je les ignorais aussi. Peut être que mon indifférence les rendait fous. Comme j'aurais aimé que ce soit le cas. Et ils me jetaient des yeux soucieux. Des mimiques hostiles qui me démangeaient la nuque. Il me criait des avertissements lâches au cas où j'aurais voulu balancer des cailloux à travers leurs vitres. Et ils le faisaient tous, dans ce périmètre pitoyable qui leur servait de planète. Oui, ils étaient tous pareils.

Cependant la nuit avait bien englouti le jour. Tous les chiens domestiques du genre humain étaient rentrés au chaud, cajolés par leur solitude partagée. A peine dérangés par les bruits que pouvait faire fiston en rentrant bien tard. Si j'avais voulu éventrer leurs bagnoles, j'aurais pu le faire et personne n'aurait rien su. Je ne le fis pas. Je passais et continuais mon long chemin. Comme si elles n'étaient pas là, à attendre sagement dans le froid.
Le silence semblait à peine vaincu par les klaxons lointains. Les étoiles semblaient à peine ternies par les flash exubérants. C'était la grande pomme qui faisait décoller ses cris. C'étaient les prières d'une ville hautaine se donnant en offrande au croissant de lune. Lui, irradiait la surface bleue noire.

Bleu qui se cache tard le soir. Bleu qui s'oublie sans faire d'histoire.

Je levai les yeux vers l'étendue tristement opaque et d'un coup, un vertige me prit. J'arrêtai ma marche, contemplai l'œuvre d'une volonté indécise. Je me sentis minuscule. Je me sentis trempé et idiot. Et des silhouettes meurtrières grimpèrent au coin de mes yeux. Telles des ombres plus grande que la nuit même. J'eus peur. J'eus très peur. Une peur vive de bandit. Une peur que j'oublierais quelques minutes plus tard. Ce genre de crainte minime qui me fit baisser la tête et courir sur le trottoir. Le plus vite possible. Pour fuir les remous de leurs musiques disgracieuses dans mon dos. Je fuyais encore. Je fuyais au pas de course et bientôt les ombres retournèrent dans leur trou. Entre le silence factice, les volets clos et les esprits ne rêvant même plus.

J'arrivai à la gare quelques minutes plus tard. C'était plutôt propre malgré l'odeur d'eaux usées et d'essences impromptues. Sur le quai, un homme s'occupait de l'entretien, expliquant la senteur intruse des produits ménagés. Le visage penché, cramponné à son balais, il allait d'avant en arrière, fredonnant la musique qui filtrait à travers son casque. Je me tins droit, les mains toujours réfugiées dans mon long manteau noir. Lui ne m'avait pas vu. Il s'évertuait à nettoyer un sol qui ne serait jamais propre. C'était affligeant. Ou attendrissant. Je ne savais plus. Et je m'en foutais à moitié pour tout vous dire.

Personne ne voyait les types de l'entretien. Mais cette fois c'était lui qui ne me voyait pas. Il se lançait dans un mouvement incohérent. Pas dansant mais presque. Juste le mouvement qui convenait au grésillement s'échappant de son walkman et de sa bouche fermée. Puis soudain un train arriva sur le quai d'en face. Il n'y avait pas grand monde à cette heure. Juste un homme sans âge qui grimpait déjà à l'intérieur. Je connaissais cette rame. C'était celle qui me ramenait a l'internat. Quand j'y pense c'est de ce côté là que j'aurais dû être. Mais le destin avait parlé et il m'avait fait déboucher sur la rive d'en face. Alors je monterais dans le train d'en face.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant