Bleu ciel.

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Bleu ciel.

Froid cruel. Froid mortel. Cesse de te retourner contre moi. J'ai déjà assez mal comme ça.

Mon père était le directeur de sa propre entreprise. Ma mère était pharmacienne. Ils étaient biens. On les citait comme des gens extraordinaires. Mais pour ma part je les avais toujours trouvés biens. Avec eux on allait jamais trop loin ou jamais trop près. Avec eux il fallait faire les choses de façon juste. Pour eux, il fallait être bien. C'étaient des gens intelligents, plutôt cultivés, éloquents et sociables. Ils avaient beaucoup d'amis et savaient toujours s'en faire. Ils organisaient des repas à Noël et à Pacques, allaient à l'église les Dimanche importants, et étaient abonnés à la gazette. Ils se rendaient fréquemment à l'opéra ou au théâtre, mais ne me semblaient pas amoureux pour autant. Et quand j'étais enfant et qu'ils partaient pour je ne sais quelle soirée mondaine, ils payaient une fille pour nous garder, mon frère et moi.

Abel était de trois ans mon aîné. Je l'aimais beaucoup Abel. Lui était plus que bien. Même plus que très bien. Il y a peu de personnes que je pouvais estimer. Abel était de ceux-là. C'était un garçon malin et observateur. Il était devenu un gars brillant et respectable. Il m'aimait aussi Abel. Je le sais car il me disait ses secrets et qu'il ne les disait à personne d'autre. Même en grandissant, il continuait de me raconter ses petites choses mystérieuses. Ah c'était un garçon fantastique. Vous n'auriez pas pu trouver mieux.

Tout le monde aimait Abel. Il était toujours premier de sa classe. Il savait s'habiller et s'y prendre avec les filles, des jolies filles, belles mais futées - pour sûr qu'elles en avaient toujours dans la cervelle. Il était habile et bon élève. Vous auriez vu comme il apprenait vite des choses qu'il n'avait jamais faites, et il s'en souvenait toujours. De plus, c'était un professionnel du piano. Nous avions un grand piano boisé dans notre salon, et Abel y jouait des mélodies angéliques. Jamais je ne l'avais vu échouer. Un charismatique manieur de poèmes. Un chanteur de formules mathématiques. Un visionnaire de la réussite.

Vous auriez vu mes parents quand il a obtenu son billet d'entrée dans une université prestigieuse. Oh ils étaient fiers. Et je l'étais aussi. Tout le monde aimait Abel parce qu'il le méritait. Personne ne doutait d'Abel. Abel était une vraie petite étoile qui brillerait longtemps.

Et puis il y avait moi.

Il faut pas se mentir. Il faut pas dire des éloges surfaites. Il faut surtout pas essayer de déjouer ma vérité. Vous comprenez ça ? Car moi je n'y parvenais pas. J'étais pas comme Abel. J'y arrivais pas. Je vous jure que j'y arrivais pas. Il étincelait partout et je marchais dans ses traces. Je suivais son beau chemin mais quelque chose clochait.

Je clochais.

Je n'avais jamais eu de gros problèmes de concentration. Je travaillais toujours tard le soir. Je ne me faisais pas d'ennemis et j'évitais constamment les bêtises inutiles. Je faisais tout bien mais ça ne marchait pas. Et déjà petit, j'en pleurais, pleurais et pleurais. Alors ma mère me murmurait : « Ce n'est pas grave JungKook. Je t'aime quand même, tu le sais. »

Je n'étais pas comme Abel et puis c'était tout. Il y a des choses qu'on ne change pas dans la vie. Et j'avais beau faire tous les efforts du monde, je n'étais pas un génie, un prodige débordant d'ambitions, un gamin à récompenses. J'étais JungKook.

JungKook. Juste JungKook.

Mais si cela n'avait été que ceci. Ah si seulement nous nous étions contenté de ceci. Pourtant non. En venant au monde j'avais comme apporté un lot interminable de déceptions. La vérité était que je ne m'emboîtais pas dans le système. J'allais à l'école sans broncher, mais je ne m'y plaisais pas. Je m'y sentais balloté, malmené, aliéné puis défiguré. On me disait des choses qui ne me plaisaient pas. On m'enfermait là où tout était morne et dicté. Cela m'ennuyait et je n'y trouvais aucune logique. Quand je n'étais pas d'accord on me disait de me taire. Quand je dessinais des rêves sans formes sur mon cahier, on disait à ma mère que j'avais un problème.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant