Bleu tissu.

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Bleu tissu.

Je suis assis par terre. Je suis assis sur une grande nappe bleue qu'on a posée dans l'herbe. Je suis assis en tailleurs et mes mains reposent immobiles, comme mon corps, comme ma tête, comme mes rêves. Il ne fait ni chaud, ni froid. Le temps est instable pour la saison. Il y a du vent et les brindilles s'envolent. Elles s'évadent et rejoignent les hirondelles. Et moi je suis assis par terre, à étouffer dans la poussière florale. Mes mèches longues de gamin me passent devant les yeux. Les brindilles lacèrent ma peau blanche. Si blanche. Trop blanche.

Je suis assis dans un désert d'herbe et de sable transparent. Au loin j'aperçois les poteaux électriques, ces grandes tours de métal qui scintillent sous le soleil pâle. Elles dominent leurs ombres soupirantes qui s'étirent, s'étirent et viennent frôler du bout des doigts mes genoux de neige. Les nuages tournent au gris, tournent au noir, puis au rose. Ils sont là mais le soleil subsiste. Le soleil se bat.

Je lève les yeux et il me voit. Il me prête ses rayons, fait espérer ma peau triste puis s'éloigne à nouveau. Quand je baisse les pupilles, je distingue la silhouette de TaeHyung. Il porte un T-shirt bleu. Bleu mi clair mi ténébreux. Un bleu flou qui s'évade un peu. TaeHyung est debout, beau, brûlant de lumière. Il me lance une chaleur que je ne peux attraper. Cela l'attriste. Il ferme les paupières.

Et soudain ce n'est plus TaeHyung mais Abel. Abel regarde vers moi mais ne me voit pas. Je suis là et je l'appelle. Il ne m'entend pas. Abel se met à marcher, un objet vague à la main. Il marche et marche sans me voir, sans m'entendre, sans comprendre. Je me mets à la suivre, à geindre et à courir. Mais il va si vite qu'il finit par s'évanouir dans les pétales de l'horizon. Déçu, je fais volte face pour retourner m'asseoir, mais la nappe bleue est devenue un océan de vagues froides, de vagues hurlantes, de vagues accueillantes. Elles viennent me cueillir les orteils, m'offrant une chaleur que je peux dévorer, que même le soleil ne me donnera jamais. Et sur le sol que la sable a recouvert, mes pieds s'engouffrent dans les bras de l'univers.

L'Océan de Nuit se laisse couler.

Tandis que l'Hiver saupoudre mon corps d'une fine couche de désespoir.

Les silhouettes grises sont parties. Et moi je sombre dans le noir.

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Je tombai par terre au son des premières notes. Le plancher de bois satisfaisait mon dos courbé. Je me laissai cueillir par cette fatigue lourde et ce sentiment plaisant qu'offrait la musique. Le vinyle tournait sur la platine. La lumière des lampes dansait au plafond. Et moi je gisais entre le sofa et les pieds d'une table. La voix du chanteur, ses mots passifs-agressifs, sa lenteur brutale et ses instruments chatoyants. Tout berçait les remous de mon intérieur. Du bout des ongles je faisais voler le paquet de cartes que j'avais trouvé dans le salon, et un peu plus loin, faisant vibrer le sol, les pas de TaeHyung retentissaient.

C'était juste ça. Nous sur le trottoir, à rire au nez d'une presque mort. Puis lui me demandant ce que je fais, où je vais, si un jour je comptais revenir. Moi répondant la vérité. Je n'en savais rien. Je n'en savais rien du tout. Et peut être ne le saurais-je jamais. Enfin, quand il m'avait proposé de venir chez lui, je n'avais pas pu dire non. Une part de ma conscience s'accrochait désespérément à ma calme solitude. L'autre, plus capricieuse, s'accrochait à la lumière de TaeHyung. J'avais écouté la deuxième. Ou plutôt, celle-ci m'avait poussé jusqu'au oui, jusqu'à son appartement, jusqu'à son sol et sa musique. A présent, je me laissais choir sous les vents chauds de paroles lucides. De nouveaux vibratos lors de nouvelles soirées, plongé dans une nouvelle joie triste.

-T'as un complexe du sol ? Me demanda TaeHyung en se penchant vers moi, par dessus la table.

Et il souriait. Je souriais aussi pour tout dire. Peut être parce que ça m'amusait. Peut être parce que j'étais gêné. Peut être pour une raison toute autre. Ou alors était-ce tout ça à la fois ? Peu importe. Je souriais et puis c'était bien comme ça. Surtout s'il souriait aussi.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant