Bleu neige.

605 75 20
                                    


Bleu neige.

Il y a des villes dans l'Océan. Des royaumes dans les abîmes. Des paradis engloutis.

Il y a des Nuits sur la Terre. Des Nuits où on se perd. De vraies Nuits d'Hiver.

Il y a des tables et des gens autour des tables. Il y a des enfants qui se frottent les yeux. Des adultes qui se mutilent les paupières. Et des enfants adultes qui gardent les yeux ouverts en permanence. Le jour. La nuit. Même sous l'eau.

Ils ont les yeux toujours grands ouverts. Comme des petites planètes pleines d'eau.

************

TaeHyung dormait sur le lit aux draps couverts de bleu. Il avait la position incongrue de l'inconscience et la pureté sauvage de l'innocence. Il n'y avait pas de cernes sous ses longs cils. Pas d'imperfections visibles sur son épiderme, juste le petit grain de beauté caché sous le bout de son nez. Ses vêtements chiffonnés ne gâchaient rien de l'élégance tandis que ses bras tendus offraient la grandeur et la splendeur des rayons lumineux. Le soleil perçait les nuages d'aube. Les fenêtres laissaient la peinture matinale recouvrir son monde. Cachant les visages sur le papier glacé. Noyant les murs blancs de couleurs. Redessinant les ombres aux bords du lit. Faisant fléchir mes sourcils de garçon fatigué.

Il était si tôt. Il était si trouble. Dehors, dans le froid qui se frottait aux vitres, la journée embrayait son déroulement, la Nuit se retirait un temps. La Nuit s'en allait telle la vague qui n'attend que le moment propice pour engloutir les villes, avaler les déserts, décomposer la Terre dans son ventre noir. Je frottai ma peau livide de mes mains sèches. Ma langue caressait le sel sur mon palais. Celui qui s'entassait en purifiant mes entrailles. Mes doigts frôlèrent la main immense du garçon assoupi. Plus un gamin qu'un étudiant. Juste un futur nouveau né du jour se découvrant. Juste la nouvelle victime d'un nouveau froid, emmitouflé dans les anciens draps et les anciennes odeurs qu'on ne change pas. Et puis demeurait le bleu.

Le bleu partout. Le bleu même sous les nuages, sur la pierre et dans les oranges. Le bleu dans les cimetières et contre ses phalanges. Le bleu sur chaque petit centimètre de la planète. Le bleu dont j'étais enduit depuis mon aventure dans la piscine.

Je passai la porte de la chambre et foulai le sol du salon toujours aussi bien habillé. Sur le plancher s'étalait le paquet de cigarettes ouvert, ses organes tueurs se dispersant à droite à gauche. Je me baissai pour le ramasser puis le rangeai dans ma poche arrière. Et comme cette soirée là, dans cette maison là, avec cette piscine là, je récupérai ma veste et pris la porte. A la seule différence que je me fis discret en partant, épargnant le doux éphèbe qui songeait encore. Il n'y avait personne dans le corridor, pas de monstres sous les lits, pas une ombre dans la rue verglacée. Seul le silence s'étalait. Et la poussière. De la poussière plein leurs yeux. L'Hiver se muait en brouillard. Le matin se cachait derrière les buildings. Puis tous ces bâtiments gris que je voyais bleus, ceux qui venaient gratter le ciel mais qui n'atteignaient rien du tout. Un peu comme tout le monde.

Froid de chien. Tu me rends malsain.

La première heure, je marchais. La deuxième aussi d'ailleurs. J'épuisais mes jambes et usais mes chaussures. Je m'éloignais du monde, fuyais pour fuir ce qu'on ne peut pas fuir. Je courrais après moi-même et je courrais loin de moi-même. J'avançais d'un pas léger mais chaque pensée qui accompagnait le mouvement ne pouvait être plus brutale. C'était une marche indécise sous les nuées glaciales. Les mains dans les poches et le menton dans le col, je marchais dans New York. Je marchais la première et la deuxième heure.

Les gens commençaient à s'éveiller, à remuer et à gesticuler. Ils paniquaient dans la chambre, dans la cuisine et dans la salle de bain. Ils paniquaient beaucoup et surtout souvent. Chaque geste et chaque désir ne semblait avoir d'autres buts que semer la mort à coup de routine. Réveil, fringues, café, taxi, travail et la même dans le chemin inverse. Moi je passais sans but. Je passais et me souvenais de quelques choses, juste comme ça. Pour passer et passer le temps. Je marchais au bord du trottoir, sur les vastes avenues. Une d'elle était longue et familière. Certains visages me parlaient aussi. Et lui, il était pas là hier après midi ? Donc, je me baladais sur le bord du trottoir, comme courbé en haut de la falaise, à deux doigts de plonger vers le béton. Je levais les bras en croix, pour m'équilibrer ou m'envoler, je sais plus trop. Je ne faisais pas attention. Moi je pensais.

Nuits d'Hiver - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant