Maladies

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Je pourrais vous citer tous les atouts que personne ne possède à part moi, mais alors il me faudrait toute une Encyclopédie pour pouvoir en citer la moitié. De toute façon ce n'est pas ça qui nous intéresse ici.
Je me contenterai de dire ca: je suis destinée à devenir folle. Donc destinée à me faire rejeter et à finir ma triste vie seule bourrée de médicaments pour avoir l'air stable et normale. Mais ce qui m'attriste le plus est que je ne pourrais jamais avoir une vie sociale comme toute fille de mon âge.
Déjà, à l'âge de cinq ans, je commençais à ressentir la maladie s'emparer de moi. Je le sus sur le moment; je dessinai un paysage avec des feutres, assise sur une table et entourée de mes camarades. Mais alors l'un d'eux s'est emparé de ma feuille et l'a gribouillé de son crayon rouge en rigolant. Ma réaction, je ne l'ai ni ressentie, ni préméditée; je l'ai vécue et on me l'a racontée. J'ai sauté sur la table en criant, empoigné son crayon et l'ai enfoncé de toutes mes forces dans son gosier par plusieurs coups frénétiques, lui tirant ses cheveux de ma main libre.
Quand on m'arracha à lui et qu'on l'emmena à l'hôpital, ce fut comme si j'avais repris mes esprits. Et là, alors, je vis s'abattre sur moi 25 regards apeurés, horrifiés et dégoûtés qui tentaient de mettre la plus grande distance possible entre eux et moi. Et quand je baissai les yeux sur mes mains, j'en vis une remplie de cheveux qui n'étaient pas les miens et l'autre d'une moitié de crayon aux rebords de bois arrachés avec violence. Sur le sol autour de moi, des tâches de liquide rouge partout (j'ai cru au début que l'on avait renversé de la peinture rouge par terre). Ce jour, je le sus: quelque chose clochait avec moi.
Heureusement qu'à cet âge-là, je n'avais pas assez de force pour lui faire un trou dans la gorge. Il réussit à se rétablir entièrement au bout de deux mois, mais ses parents lui changèrent d'école sans porter plainte contre moi (mon âge était une belle excuse pour couvrir la folie qui s'abritait pourtant en moi).
C'est à partir de là que l'enfer commença. Depuis cet incident s'ensuivirent d'autres de plus en plus graves et étranges, qui poussaient à chaque fois mes parents à me changer d'école encore et encore... Ils se disputaient de plus en plus à mon sujet, croyant chacun avoir manqué quelque chose dans mon enfance qui m'a fait devenir ce que je suis maintenant.
Mon psychiatre leur a proposé plusieurs fois de m'envoyer dans un "refuge" pour "les personnes comme moi". Bien qu'ils aient refusé cette idée, elle devient de plus en plus tentante au fur et à mesure que le temps passe et que ma maladie s'aggrave.
Je suis à présent en Terminale Littéraire dans un petit lycée publique que je côtoies depuis un an sans accident (il faut dire que c'est grâce aux pilules anti-dépresseurs et autres qu'on m'oblige à avaler), faute de quoi je m'isole des autres.
Depuis quelques temps, j'ai de plus en plus de mal à supporter la solitude de ma vie. J'ai tellement de choses que j'aimerai partager avec quelqu'un qui ne me regarderait pas à travers ma maladie, mais juste à travers moi. Parfois je me prends à fixer des filles dans ma classe, les regardant discuter et rire avec une envie envahissante.
C'était quelque chose de simple, de commun et pourtant, quelque chose que je n'ai jamais connu. Avoir un ami.
Avoir quelqu'un.
Et, alors, quand je me fais à l'idée que poursuivre les traitements m'aiderait à pouvoir vivre comme elles, je sens la folie remonter comme une tentacule le long de mon torse et obscurcir ma vision.

Voici donc la vérité de ma vie: je suis condamnée à ne pas être normal .

Sombre FolieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant