5. Journal d'une fille impatiente...

33 5 0
                                    


Marie, Mardi 28 juin 1988


Plus que deux jours à tenir dans ce collège de débiles. Je n'en peux plus. Les profs m'énervent. Ils sont là à faire les cools, à jouer aux jeux de société avec ceux-là même qu'ils ont pourri pendant dix mois. Ça me dégoûte. Un grand moment d'hypocrisie. Mais, je m'en fiche. Je reste à distance de ces effusions de soudaine sympathie entre collégiens et enseignants. Pas envie que ça m'empêche de rêver. Pas envie que ça ne vienne casser mon petit bonheur. Pas envie qu'ils me fassent descendre de mon petit nuage. Chaque jour me rapproche de mon départ pour l'Italie. Chaque minute supportée dans ce bahut déprimant, dans ce bled poussiéreux, est plus proche de ce voyage. Mes amis, un nouveau pays, l'aventure...Bientôt ! J'ai hâte !

Je n'en reviens toujours pas que mes parents aient accepté. Un moment de folie passagère, j'imagine. Qu'ils semblent déjà regretter, d'ailleurs. Papa ne prononce plus un mot à table. Il n'était déjà plus causant, mais là, il est carrément devenu muet. Maman, comme toujours, fait semblant que tout va bien, mais elle fait pitié avec sa démarche de boiteuse depuis qu'elle s'est tordu la cheville en courant et ce pauvre sourire qu'elle affiche en permanence comme pour faire oublier la gueule renfrognée de son mari depuis quelques jours. Elle croit berner qui avec cette tête de commerçante équilibrée qu'elle s'évertue à mettre en avant ? Sa copine Christine ? Tu parles, elle le sait bien Christine, que ma mère n'est pas « cool » comme elle. Elle n'est jamais « cool », ma mère, elle flippe tout le temps. Qu'est-ce qu'elle peut bien lui trouver Christine ? Elle qui est si fantasque, si drôle ? J'adore cette femme. Elle voit toujours la vie en rose, elle a sans cesse des idées folles. Depuis qu'on est petits, elle rivalise d'idées de dingues pour nous amuser, mon frère et moi. Elle déniche des maisons abandonnées soi-disant hantées, nous fait nous déguiser, foulard sur la tête et lunettes de soleil pour y pénétrer à la recherche d'un trésor ou d'un cadavre. Elle apprend qu'on va tourner un film dans le coin et nous inscrit comme figurants. Elle nous fait chanter des paillardes, on passe des soirées entières à faire des blagues au téléphone. Légèreté, fantaisie, magie... C'est Christine qui se charge de ça avec nous, et c'est avec elle que j'ai mes plus beaux souvenirs d'enfance.

Vivre ailleurs (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant