Mardi 16 août
Incroyable ! Je viens de vivre les deux journées les plus incroyables, angoissantes, terrifiantes de ma vie !
Commençons par hier. Comme c'était le 15 août, fête de la Madone, celle qui porte mon prénom. Nous sommes allés à la messe avec toute la famille. La religion c'est une affaire sérieuse ici, alors, même si ce n'est pas mon truc, je respecte et j'accompagne tout le monde à l'église. J'en ai profité pour allumer une bougie comme me l'avait demandé Mamie Gina avant mon départ.
Elle en a eu du chagrin de me voir partir, la Gina. Elle semblait tellement émue, comme je ne l'ai jamais vue avant. On aurait dit qu'elle avait envie de me dire quelque chose mais que ça ne sortait pas. Quand je lui ai annoncé que je partais en vacances en Italie, elle n'a d'abord pas voulu me croire. Elle pensait qu'il s'agissait encore d'une de mes lubies. Elle s'est même mise en colère. « Oh, tu me fatigues avec tes rêves et tes inventions. L'Italie ! Qu'est-ce que t'as avec l'Italie ? T'es pas bien ici ? Sais-tu au moins comment-ils sont les Italiens ? Et ce qu'ils ont vécu avant et pendant la guerre ? C'était la famine dans le temps ! En plus, ils ont eu ce Mussolini, un tyran qui s'est mis du côté de Hitler et terrorisait la population ! Il y a tant de gens qui rêvent de vivre comme nous ! Avoir un travail, un toit, une belle famille. Et toi ? Tu dénigres tout ça ? Tu craches dans la soupe, ma petite. Ne t'imagine pas que tu trouveras mieux ailleurs qu'ici ! C'est pur fantasme ! » Je suis restée muette. Elle ne m'avait jamais parlé comme ça, Mamie. Certes, elle avait un sacré caractère et tout le monde la craignait un peu dans la famille. Mais elle s'était toujours montrée différente avec moi. Plus à l'écoute, plus tolérante, plus patiente. Alors, là, elle m'avait clouée sur place ! J'avais les larmes aux yeux, complètement déstabilisée. Et si elle avait raison, si mes envies de fuir Claireville ne m'apportaient que déception et frustration ?
Mais je devais essayer, je voulais voir de moi-même. Maman est arrivée et lui a confirmé que je passerais le mois d'août en Italie. Mamie a chancelé, elle s'est assise en tremblant dans son fauteuil aussi cabossé que son dos, nous a longtemps regardées Maman et moi. Une petite larme est sortie de son œil noir de jais puis elle a soufflé « Pfff, mon Dieu... S'il doit en être ainsi... » .
Je me suis jetée dans ses bras.
« Je ne pars qu'un mois, Mamie, je te ramènerai un souvenir de là-bas !
— Ne te donne pas cette peine, ma fille. Ce qui me ferait plaisir, c'est que tu allumes un cierge à l'église pour moi...
— Ce sera fait, Mamie, promis. »
J'en étais donc à faire brûler une chandelle en l'honneur de Mamie Gina avant que la messe ne commence quand je les ai vus entrer. Un couple d'à peine trente ans, deux petites filles l'une tenant la main du papa, l'autre celle d'une dame âgée, et la maman portant un beau bébé dans les bras. Ils correspondaient complètement à la description que m'avait faite Enzo. Son cousin, Federico CREPI, sa femme, sa mère et ses trois enfants, dont le petit Lorenzo qui doit être baptisé dimanche prochain. La Nonna Tina les a salués de loin. Elle les connaît, donc... Elle n'a pourtant rien révélé d'intéressant à Enzo. Ça fait deux semaines qu'il enquête sur sa famille et il n'a pas appris grand-chose. Les gens n'ont pas l'air de vouloir beaucoup parler de la famille CREPI. Federico est le seul cousin de son père. Il vit et travaille en ville. Il est avocat à Florence. Sa femme est florentine. Il viennent régulièrement à Lorenzana rendre visite à la mère de Federico qui vit seule depuis que son mari (le cousin de Camilo et grand-père d'Enzo) est décédé d'un cancer en 1972, année de naissance d'Enzo. Coïncidence troublante. En tout cas, les cousins CREPI ne se voyaient plus depuis le départ de Camilo pour l'Amérique en 1946, et Camilo n'est revenu à Lorenzana qu'en 1972 pour l'enterrement de son cousin. Je sais, il faut suivre... C'est quelque peu compliqué, mais si nous voulons comprendre ce qui se passe dans cette famille, il va falloir tout analyser !
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Vivre ailleurs (TERMINÉ)
RomanceMarie a 13 ans en 1988. Dans son journal, elle crache sa rage d'être prisonnière d'une jeunesse ennuyeuse et banale. Marie étouffe dans sa petite ville maussade de province, dans une famille de boulangers sans envergure, sans projets, sans folie, ni...