Anne, Claireville, Lundi 8 août,
Aujourd'hui, mon cœur s'est arrêté de battre.
On a sonné à la porte. J'ai ouvert sur deux policiers avec un air grave. J'ai entendu prononcer le nom de Marie. J'ai aussitôt eu le flash du visage de Marie, les yeux fermés, le visage trop pâle. Puis, plus rien. Le noir. Marie était morte ? Il lui était arrivé malheur ? J'ai cessé de respirer. Ma vie s'est arrêtée. Sans Marie, je suis qui ? Je suis quoi sans mes enfants ? Mon cœur s'est figé. Ma vue s'est brouillée. Plus rien ne fonctionnait. Tout a basculé en une seconde. Je l'ai crue morte ! Si elle l'était, je partais avec elle. Là, sur le pas de ma porte, devant ces deux gendarmes, impuissants devant ma détresse ! Voilà ce qui s'est passé ce matin. J'ai réalisé que je pouvais perdre mes enfants en un clin d'œil. Et que je ne pourrais rien y faire. Et qu'il serait trop tard pour les aimer. Je n'ai perdu personne. Marie est saine et sauve. Si la police est venue, c'est parce qu'elle enquête sur la fugue d'un jeune homme qui aurait été vu avec elle dans le train pour Florence. Mais cette pensée m'a révulsée. Si Marie avait eu un accident, elle aurait quitté cette terre en nous détestant. Nous serions passés à côté de son amour, de son épanouissement. Nous aurions tout raté !
La police venait juste vérifier qui était Marie pour ce garçon. Elle a eu confirmation après mon appel en Italie qu'ils ne se connaissent pas, qu'ils se sont juste croisés dans le train, que Marie lui a gentiment donné le billet de Sarah pour le dépanner et qu'il est parti de son côté sans causer de problème à qui que ce soit. Point final.
Pas pour Jean-Pierre. Pour lui, ça ne faisait que commencer. Il tenait là une bonne raison pour que son courroux sorte enfin. Il allait enfin pouvoir s'exprimer, tout lâcher, arrêter de bouder et me faire porter le chapeau de cette terrible farce !
« Bravo, Madame est fière ! Avec tes fantaisies d'envoyer notre fille au bout du monde, chez des gens qu'on ne connaît pas, voilà ce qui arrive ! On apprend une semaine plus tard qu'elle a bidouillé avec un délinquant recherché par les flics et menti à tout le monde en le présentant comme un copain de vacances rencontré par hasard ! Personne ne nous a rien dit ! Et qu'est-ce qu'ils en savent qu'il n'est plus en rapport avec Marie ce petit merdeux, hein ? Comment tu sais qu'elle n'est pas en danger, ma fille, toi qui es si maline ? Moi, tout ce que je vois, c'est que Marie, elle ne nous appelle jamais ! On ne sait pas ce qu'ils font d'elle là-bas. Elle pourrait se droguer ou se faire violer, ils ne s'en rendraient même pas compte ! Et tu leur fais confiance ! Comme ça, sans réfléchir tu leur mets notre gamine entre les mains ! Non mais c'est incroyable ! Incroyable ! J'aurais jamais dû te laisser faire. Aucune jugeote. J'ai pas voulu intervenir, j'ai pas voulu que les gens pensent qu'on ne prenait pas nos décisions ensemble. Alors, comme t'as accepté, sans même imaginer que j'avais mon mot à dire, j'ai laissé faire. J'étais coincé, piégé. Et voilà le résultat ! Notre gosse de 13 ans fricote avec des inconnus, elle est loin de notre surveillance et s'il lui arrive quelque chose, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi même, Anne ! »
Voilà, ça, c'est fait. Peut-être que maintenant que la cocotte a explosé, il va se remettre tout doucement à me parler. Arrivera-t-on enfin à pouvoir communiquer comme un couple normal ?
En attendant, j'ai réussi à discuter avec ma petite Marie. J'ai prétexté que j'avais eu des nouvelles de sa copine Sarah. J'ai croisé ses grands-parents hier qui m'ont dit qu'elle était partie en vacances avec sa mère et son ami. Ils étaient désolés que nous n'ayons pas été mis au courant. Ils pensaient que leur fille nous avait prévenus. Bref, Marie va bien. Elle avait une bonne voix. Elle a même été adorable au téléphone. Nous avons papoté quelques minutes. Elle m'a raconté ses journées ; piscine, maillot, rires avec ses amis, longues discussions avec la mamie de Julie (décidemment, elle plaît beaucoup aux grand-mères), balades dans la campagne ou au village. Elle a chaud, elle doit être déjà bien bronzée.
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Vivre ailleurs (TERMINÉ)
Storie d'amoreMarie a 13 ans en 1988. Dans son journal, elle crache sa rage d'être prisonnière d'une jeunesse ennuyeuse et banale. Marie étouffe dans sa petite ville maussade de province, dans une famille de boulangers sans envergure, sans projets, sans folie, ni...