Les trompettes sonnent dans mon être et me paralysent de toute part. Cette fois-ci, elles sont différentes. Elles ne dévoilent pas une douce mélodie à laquelle je suis habituée ni ne réveillent la curiosité qu'elles me donnaient, et encore moins le devoir qui m'incombe. Elles n'encouragent plus mes mouvements, mais elles sont simplement le début de ma fin.
Elles marquent le changement.
Un bouleversement que je ne le lis même pas dans le regard de mes frères et sœurs. Et pourtant, elles déclenchent un nouvel ordre, une nouvelle directive.
Et même si j'appréhende, je me lève et abandonne ma tâche comme tous les autres. Le chemin que je connais par cœur me paraît interminable et affreusement douloureux. Ce sentiment qui m'était inconnu il n'y a pas si longtemps me percute autant que notre dernière étreinte, enclenchant une chaleur que je ne pensais pas délicieuse auparavant dans ma poitrine. Rien que de songer à la dernière fois, cela me trouble plus encore.
J'expire en douceur devant les portes pour tenter de me calmer. Leurs blancheurs m'apaisent, ce n'est en rien comparable à nos tenues par exemple. Certes, le lin est une matière noble, mais c'est la raison de toute chose qui constitue les portes. L'essence même de notre création. Leur luminosité est presque comparable au diamant. D'une brillance brute, laissant transparaître une puissance et dévoilant une panoplie de couleur selon comment on les regarde. Au côté des autres, j'attends. Et lorsqu'elles s'ouvrent, la lumière se fait plus éblouissante. Je ferme un instant les yeux en me rattachant à mes rêveries. J'ai du mal à m'en défaire. Mes frères et sœurs ne remarquent rien, tant, ils se comportent comme ils doivent être : obéissants et utiles. Personne ne voit que je n'ose entrer.
Aucun ne sait.
Ils se basent sur leurs fonctions, leurs buts et leurs devoirs. Ai-je moi aussi ce devoir dorénavant ? Ai-je le même but ?
Mes doutes sont si présents. Bien trop ancrés dans mon être pour espérer cette miséricorde maintenant. Je clos une dernière fois mes paupières et redresse mon visage, car il m'a été donné la beauté, l'intelligence et la connaissance. Ne pas l'afficher aux yeux de tous serait suspicieux. Et en les regardant, ils ont la tête haute.
Un simple reflet de la grandeur des Cieux.
Je m'avance enfin dans la grande salle pour me placer selon mon rang. Des sièges les uns sur les autres avec comme seul spectacle : la blancheur de l'Eternel. Un espace au centre rayonnant de grâce nous baigne de sérénité. Je scrute mes frères et sœurs qui observent devant eux. Et là, où j'ai connu mes semblables parfois joueurs ou querelleurs, ils ne quittent pas des yeux ce point étincelant. J'ai le sentiment d'être la seule à avoir perdu ma sagesse. Je soupire en scrutant les dix restants entrer. Toutefois, je détourne ma vue lorsque le plus brave de nous tous fixe dans ma direction. Ma peur se développe aussitôt, et je me redresse dans la même posture que les autres afin de ne pas éveiller ses soupçons. Je ne laisse rien paraître.
Je ne peux pas.
Je ne dois pas.
Le silence règne dans la salle, et pourtant, il devrait y avoir un tel vacarme, car ce moment entre dans notre monde comme le souffle qui nous a été donné. Simple et pur alors qu'il annonce un changement, une nouvelle ère qui nous bousculera à jamais. Une seconde trompette sonne et présage sa venue. Même si mon âme aimerait crier, elle doit se taire puisqu'il n'est pas nécessaire de parler dans ce lieu. Le siège de Dieu, tout comme le Paradis lui-même est connu pour cela. Aucun de nous n'a besoin de prononcer de paroles pour se faire entendre ni de révéler ses pensées pour qu'elles soient comprises. L'esprit gouverne dans le royaume des Cieux, en tout temps et pour toujours. Après tout, il n'y a aucune utilité aux mots lorsqu'IL est présent. Tout n'est qu'évidence et savoir. Pourtant, je ne désire pas qu'on sache ce que je ressens.
La lumière finit par enrober notre espace. Cela annonce le début. Le Créateur est le gardien de la justice et il le restera. Alors je me tais, et je mets sous silence mon âme pour ne rien montrer. Je maintiens ma vue fixée devant moi lorsque l'accusé s'avance vers nous. Un bref coup d'œil dans sa direction me fait remarquer qu'ils ne l'ont même pas attaché. Pourquoi le feraient-ils après tout ? Comment chercherait-il à se dérober tandis que nous sommes des Légions autour de lui ? Il ne fuira pas. Et il prouve sa bravoure en balayant l'assemblée du regard. Je sais ce qu'il désire. Rien que pour cela, j'en tremble. Je panique aussitôt. La peur me ronge au plus profond de moi, mais il n'y a pas que cette terreur qui me persécute. Il va bientôt me trouver, et je ne dois pas le considérer, mais... c'est au-dessus de mes forces.
Ses yeux cristallins se fondent dans les miens. Une seconde ou peut-être moins, et nos âmes se complètent l'espace d'un instant. Cette chaleur se répand en moi à une vitesse fulgurante. Il prend possession de mon corps par un regard et il me convoite. Il m'observe, silencieux. C'est bien moi qu'il scrute. D'une seule lueur, il me sort de mon rang et bouscule mon être.
Il prend ce qui lui appartient.
J'appréhende toujours, espérant que l'on ne remarque rien. Qu'aucun de mes frères et sœurs ne devinent ce qui nous anime. J'aimerais de l'aide pour ne pas être découverte. Mais que faire ? Prier ? Pour prier qui ?
Soudain, la voix de Michaël résonne en chacun de nous et m'oblige enfin à ôter mon attention de lui.
— Gadrel, tu es ici pour répondre de tes actes devant la Justice Divine.
J'observe les neuf autres Archanges, Michaël, Raziël, Zaphkiel, Camaël, Zadkiel, Hamiel et Raphaël, les torses bombés, face à lui. Tous droits, imposants et puissants. Chacun d'eux animeront le procès et ils feront ce pour quoi ils existent.
— Je ne répondrais de rien... alors que la Justice Divine fasse son travail, mon frère.
Gadrel, l'ange le plus beau qui ait été créé, se redresse et sourit. Cet affront retentit dans mon âme comme il perturbe l'assistance. Jamais, il a été donné de tenir tête au plus fort d'entre nous. Jamais, aucun n'oserait contredire SA parole, et encore moins se moquer en ce lieu d'un Archange.
Personne, sauf lui.
Mon souffle se perd lorsqu'il se met même à ricaner. Je ferme les yeux et emploie mon âme à ne pas aimer cette mélodie, et pourtant, je n'y échappe pas. Gadrel n'est pas seulement le premier à être jugé. Il est aussi tout, car il m'a tout montré. Et sous cette arrogance naissante, se cache en réalité un ange bien plus brave que chacun de nous. Mais aussi plus malin ou plus beau que tout ce qu'il m'ait été donné de voir dans ce monde ou dans l'autre. Mon corps s'enflamme en songeant à ce qui s'est passé. Je me sens perdue. Je me consume pour lui. Et je me laisse bercer par cette douceur, mais j'ai aussi l'impression que ma poitrine pèse une tonne ou que mon âme se décroche de son enveloppe. Un bref regard vers lui décuple d'autant plus cette sensation affreuse, or je la saisis également. Ses yeux me jugent alors que c'est lui qu'on va juger. Il m'accuse de tous ses maux et il a raison.
Je suis tout aussi coupable.
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GADREL
FantasyAvant le commencement, Dieu créa des êtres purs. Il les fit intelligents, beaux et obéissants. Il leur donna un but et des missions à accomplir. Il insuffla dans leurs âmes bonté et amour. Tous différents et pourtant tous identiques. Chacun reçut ce...