Gadrel reste un moment à m'observer en silence, mais il finit par se focaliser sur l'assemblée. Je le remercie par la pensée de ne pas éveiller les soupçons. La salle quant à elle, emplie de myriades d'anges, se tait face à ses dernières paroles. Personne n'ose dévoiler ses inquiétudes et ce n'est de toute façon à aucun de nous de se prononcer. La justice est bien faite et pure. Ce n'est jamais un autre Ordre qui juge un ange qui a fauté. C'est toujours son propre Chœur qui anime le procès.
En revanche, ceux qui le souhaitent peuvent défendre l'accusé. Et il m'a fallu tout mon savoir et mes connaissances pour justifier les raisons de son acte. J'ai cherché si longtemps lorsque j'ai su. J'ai retourné toutes les salles du Paradis, tous les écrits pour lui éviter le pire. Je n'ai qu'une unique solution. Je retiens mes larmes en y songeant, mais c'est bien le seul moyen de le sauver.
Mes pensées cessent de me tourmenter lorsque les Archanges s'installent auprès du trône. Le temps de ce procès, ils auront la tâche d'accuser leur propre frère, révélant les abominations qu'il a accomplies. Je n'ose même pas imaginer la difficulté d'une telle mission. Si je devais prendre ce pouvoir contre l'un de mes frères Séraphin, j'en serais incapable. Les neuf Archanges farfouillent dans des parchemins, organisant le début du procès dans un silence de plomb. Michaël détourne quelque peu son attention pour observer Gadrel. Ce dernier le lorgne avec la même ténacité. Ils emploient une conversation discrète. Ils s'échangent des pensées, et au vu de leurs regards, elles ne sont pas douces.
Michael se redresse soudainement d'un geste sec. Il pointe Gadrel du doigt, hargneux, mais ce dernier lui sourit, amusé. Ses traits débordent d'arrogance pour celui qui était son frère le plus proche.
— As-tu peur de me juger, Michaël ? Es-tu certain de vouloir le faire ?
La voix de Gadrel nous laisse tous interdits. La parole ne lui a pas encore été donnée. Qu'il ne respecte pas la justice, met en émoi Raphaël. Le Régent des Archanges tape du poing sur la table avec férocité, paralysant toute l'assemblée.
— Cela suffit, Gadrel !
— Ne craignez pas, je n'ai rien contre vous, mes frères...
Ce n'est qu'un murmure, mais tout le monde l'a entendu. Des chuchotements se perdent dans la salle tandis que Gadrel nous observe tour à tour. Il sourit, puis plante enfin ses yeux dans les miens. Je laisse cette lueur du fond de son âme me parvenir. Il m'autorise à entrevoir ses pensées. Je m'emballe aussitôt. Je sais que je suis enchaînée tout autant que lui. Il m'a emprisonné et enlisé dans une vérité. Je souhaiterais crier, hurler que j'aimerais garder ces chaines pour l'éternité. Je désirerais maintenir mon corps contre le sien jusqu'à la fin des temps, étreindre et savourer sa chaleur pour toujours.
Pourtant, je n'en ai pas le droit.
Et alors que personne ne me voit, je laisse ma peine couler le long de ma joue. Gadrel secoue légèrement la tête, m'interdisant de me dévoiler de la sorte. Je passe ma main pour faire taire ma douleur. Ses yeux me montrent la bonté de son âme. Il me révèle à moi seule, la raison de ce jugement. Pleine de stupeur, je bégaye. Mes lèvres tremblent. Je désire le rejoindre. Néanmoins, il me l'interdit. Gadrel braque son attention vers Michaël lorsqu'il s'adresse à lui :
— Gadrel, tu es le seul responsable de ton jugement. Tu as désobéi à ta tâche. Tu as déshonoré ton rang et tes frères ici présents par le déclin. Tu as bafoué la volonté de Dieu. Tu n'as pas suivi l'ordre donné et tu as menti ainsi que dissimulé ta traîtrise. Tu as failli à ton devoir en permettant à Lucifer de pénétrer et de commettre une atrocité dans le jardin d'Eden. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
Gadrel se tait et continue à sourire. Tous s'attendent à ce qu'il réponde de ses actes, mais l'ange le plus taquin de la création ne me surprend qu'à moitié en entendant quand il rétorque :
— Désobéi, déshonoré, bafoué, menti, dissimulé... traîtrise ? Cela fait beaucoup d'accusations. Je vois que tu m'en veux encore de te battre si aisément, mon frère.
Interloqué, Michaël le dévisage. Les autres Archanges sont autant ébranlés, sauf Gabriel. Un rictus nait au coin de ses lèvres et je comprends pourquoi. Gadrel a toujours été de nature plus taquine, mais il a agrandi cette partie de lui pour laisser la place à une autre. Bien plus puissante et dévastatrice, mais je ne peux pas lui en vouloir. Je lui ai donné cet accès. Je lui ai permis de s'engouffrer là-dedans et je ne me le pardonnerai jamais.
Pourtant, je ne regrette rien. Tout ce qui a pu nous animer restera gravé dans mon esprit. Je ne pourrais oublier son souffle contre le mien. Sa force sur moi ou ses caresses envoutantes. Jamais je n'arriverai à me défaire de cette lueur dans ses yeux. Rien ne sera aussi beau que son sourire qu'il m'a octroyé tant de fois. Aucune création n'égalera la chaleur qui nous a embrasés.
Rien.
Non.
Absolument rien ne pourrait prendre la place qu'il a dans mon âme. Car il l'a complétée et il m'a montré bien plus que je n'aurais imaginé connaître. Raphaël me sort de ma semi-transe lorsqu'il s'adresse à nouveau vers l'assemblée d'une voix plus forte.
— Gadrel ! Comment oses-tu !
Je n'ai pas écouté ce qu'il a pu leur répondre, je me suis simplement perdue dans mes souvenirs. Je m'en veux en un instant d'avoir manqué sa parole et encore plus de ne pas lui avoir donné l'attention qu'il mérite. Gadrel se redresse ensuite en ouvrant ses ailes de rage. Il dévoile sa brutalité à Raphaël.
— Nous sommes donc ici pour révéler la vérité ? Voilà la mienne !
— Il n'est pas permis de dire cela !
La voix de Raphaël résonne comme un lion dans toute la salle. Elle gronde en chacun de nous. On comprend pourquoi il est le Régent des Archanges et comment il arrive à faire entendre ses ordres à ses Légions. Nous sommes tous surpris par cette puissance lorsque le rire de Gadrel le couronne.
— Pourquoi tant de colère, mon frère ? Je vous l'ai dit, je n'ai rien contre vous.
— Ne m'appelle plus frère ! Tu n'es plus un Archange pour moi après ce que tu as fait.
J'ai le sentiment que tout le monde perd son souffle et laisse ces dernières secondes en suspens. Gadrel abaisse ses ailes avec lenteur. Sa tête s'enfonce dans ses épaules. Son esprit dévoile un mélange de stupeur et de peine. Je peux ressentir sa douleur jusqu'ici. La famille est un point que tous les anges chérissent. Nous sommes tous frères et sœurs et nous nous aimons les uns les autres. Les paroles de Raphaël assomment l'ensemble des anges ici présent. Gadrel abaisse ses épaules, blessé. Un souffle proche du ricanement s'échappe après de ses lèvres :
— Je vois que tu as choisi ton camp.
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GADREL
FantasyAvant le commencement, Dieu créa des êtres purs. Il les fit intelligents, beaux et obéissants. Il leur donna un but et des missions à accomplir. Il insuffla dans leurs âmes bonté et amour. Tous différents et pourtant tous identiques. Chacun reçut ce...