AVANT LA CHUTE 1.5 MAHASIAH

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Nous restons silencieux un instant. Mes dernières révélations doivent se bousculer dans son esprit. De tous les Ordres, les Archanges sont les plus stratège. J'aimerais qu'il partage avec moi ses pensées, mais il ne le permet pas. Sur Terre, il est impossible de communiquer ainsi. Je ne peux pas lui demander de m'ouvrir ce passage étroit vers son âme. Ici, nous ne sommes plus aussi légers qu'en haut. Je lève d'ailleurs les yeux vers le ciel en songeant à ce que je viens de dévoiler. Gadrel pourrait m'enchaîner aussitôt et me monter au Paradis avec fureur devant mon Régent afin que je réponde de mes actes. Il devrait même le faire. Pourtant, il ne bouge pas, s'égarant dans son esprit.

— Gadrel... dis-moi quelque chose.

Ses iris verts se baissent vers moi. Sa mâchoire serrée ne me laisse rien présager de bon. Il se tient droit et crispé. Ses bras se contractent en saisissant mon poignet. Toutefois, la douceur de son regard contredit son corps. J'incline ma tête, prête à recevoir ma punition. Mon attention se perd sur son armure dorée et magnifique. Je me rattache à la seule beauté visible, consciente que je vais être châtiée pour mon comportement. Je m'attends à ce qu'il déploie toute sa force pour m'enchaîner, mais il me relâche et saisit mon visage avec délicatesse. J'en perds mon souffle. Mon âme retrouve soudain cette torture qui me ronge depuis toujours. Nos souffles se mêlent l'un à l'autre tant nous sommes proches. Son nez pourrait facilement caresser le mien et ses lèvres, pourraient faire bien plus que cela. Rien qu'en y songeant, je me lèche les miennes, avide. Mon péché a repris possession de moi et il est plus ardent. Le rose flamboyant se reflète sur nos visages. Gadrel soupire. Il hésite, je le sens, je le vois.

— Je ne dirais rien.

Le soulagement s'empare de moi. Je le remercie de tout mon être. Gadrel me fixe, sans dire un mot, puis prend une grande inspiration avant de se reculer.

— Quand viens-tu sur Terre ?

Je ne réalise pas qu'il s'est éloigné. J'aimerais toujours être entre ses bras. Étrangement, ce sentiment me bouleverse d'autant plus. Je cherche à le définir, mais l'Archange réitère sa question avec une voix plus ferme m'obligeant à y répondre.

— La nuit, je ne viens que la nuit. Tous les soirs.

Un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Je ne comprends pas cet amusement, mais je n'ai pas le temps de lui poser la question qu'il s'approche avec lenteur. Gadrel me contourne ensuite et se place dos à moi. Je ferme les yeux, inquiète qu'il revienne sur sa décision. Ma respiration se fait sifflante en observant nos ombres sur le sol. Il est plus grand. Ses ailes sont plus majestueuses que les miennes. Elles me dissimulent lorsqu'il les étire. Puis, il pose sa main sur mon épaule et s'approche. Son souffle me caresse l'oreille, réveillant mes tourments.

— Je viendrai avec toi.

Son chuchotement hérisse tous mes poils, mais il n'y a pas que cette réaction qui me perturbe. Une chose cogne dans ma poitrine en cet instant. J'ai le sentiment qu'elle ébranle chaque cellule de mon être. Un rythme effréné, régulier, qui m'hypnotise. J'ai toujours su que Gadrel réveillait mon péché, et je n'ai pas envie qu'il m'accompagne sur Terre pour cette raison.

— Je préfère rester seule.

— Je ne te laisse pas le choix, Siah. Je viendrai avec toi aussi souvent que tu descendras sur Terre.

Sa voix chaude est douce, et pourtant, pleine de puissance. Il commande plus d'une Légion alors pourquoi ne suivrais-je pas son ordre ? En songeant à ma mission, je culpabilise et rentre ma tête dans mes épaules. Gadrel me saisit aussitôt la main et me retourne face à lui avec une certaine hargne.

— Je t'accompagnerai tous les soirs, car si l'on te voit, il faudra expliquer la raison de ta présence. Sache que mes frères sont moins indulgents que moi.

Je plonge mon regard dans ce vert émeraude et comprends qu'il cherche juste à me protéger. Mon âme s'emballe d'amour et de bienveillance à son égard. Il a raison. Je ne m'en suis jamais souciée, trop préoccupée par mon besoin de soulager le poids sur ma poitrine. Il me sourit, je lui rends, ne sachant que dire de plus.

— Rentrons.

Je hoche la tête, puis il s'envole. Côte à côte, nous reprenons le chemin du Paradis. Il ne dit rien et vole en respectant ma cadence. L'Archange ne me lâche pas la main, il va même jusqu'à entrelacer ses doigts avec les miens. Un certain témoignage de bienveillance, je suppose.

Le retour est rapide, malgré que je ne sois plus lente que lui. Je l'observe discrètement. Il me trouble. Pourquoi m'épargne-t-il ?

— Pourquoi, Gadrel ? Pourquoi m'aides-tu ?

Son visage se tourne vers moi.

— Avant d'être un commandant, je suis un protecteur, Siah.

Je me tais, réalisant que mes aveux m'ont épargné un châtiment. Je me sens pourtant faible. Je n'ai jamais été aussi proche de lui, et j'en connais les raisons. Sur le peu de chemin qu'il nous reste face à l'entrée du Paradis, je serre sa main pour le remercier. Une fois devant les portes, il délie ses doigts des miens. Nous entrons en prenant garde à ne pas révéler notre présence. Je reprends mon souffle après un tel vol et profite de l'étendue vide face à moi. Il n'y a qu'un sol lumineux, brillant, qui éblouit mes yeux, encore habitués à la lumière de la Terre. Je m'avance pour retrouver la grâce du ciel, mais Gadrel me saisit le poignet sans m'y attendre. Je pivote aussitôt.

— Tous les soirs, rejoins-moi ici.

J'acquiesce. Il remonte sa main tout en douceur de mon épaule à ma mâchoire comme pour me rassurer. Ce n'est pas ce qu'engendre son geste. Un sourire complice se dessine sur ses lèvres avant qu'il ne me relâche et s'envole vers le second niveau, celui des Archanges à vive allure. Je reste en suspens, désemparée. Mes pensées s'entrechoquent les unes entre les autres tandis que j'observe le Paradis et la tour au loin. La hiérarchie divine est telle une pyramide. Le premier niveau est vaste, c'est là où les Légions séjournent. En relevant la tête vers tout en haut, je discerne mon propre Chœur. Le neuvième niveau est au plus proche de la blancheur du Créateur. Je ne quitte pas ma vue de ce point culminant, pourtant, mon âme peine à retrouver la sérénité du lieu. Pour ce faire, je m'envole à mon tour afin de rejoindre mon Chœur. Néanmoins, je n'y prête pas autant de hâte qu'à mon départ. Plus je m'avance, plus je réalise l'inconcevable.

Je viens de désobéir.

GADRELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant