AVANT LA CHUTE 1.7 MAHASIAH

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Metatron redéfinit les tâches de chacun, puis nous laisse travailler. Pour le prochain Conseil, nous devrons présenter nos idées afin qu'il puisse en faire part au Créateur. En un coup d'œil sur ce qui m'entoure, je distingue les autres qui s'affairent déjà de manière méticuleuse. Face à mes parchemins apposés sur cette table blanche, j'ai le sentiment de ne pas réussir à le satisfaire. Dieu a demandé à ce que j'imagine le Chœur qui habitera l'Homme, mais j'ai tant de mal à dessiner si grand. Je suis douée pour concevoir d'infimes œuvres. Les petites créations sont mes spécialités, pas cela. En les lorgnant, je stoppe mes pensées. Je ne comprends pas pourquoi le Créateur tient à ce que ce soit moi qui m'en occupe. Il y a sept anges qui en sont plus capables ici. Vehemiah par exemple a conçu la bibliothèque divine. Et lorsque l'on pénètre dedans, on réalise à quel point elle excelle dans la grandeur.

Pourquoi moi ?

Cette litanie ne fait que de tourner en boucle dans mon esprit, laissant mes parchemins toujours aussi vierges. J'ai bien essayé d'en parler à Metatron pour échanger avec Elémiah. Elle est en charge d'imaginer la forme de l'Homme. Voilà une tâche qui me correspondrait plus, mais mon Régent a été formel.

Le Créateur souhaite que ce soit moi qui dessine ce lieu. Alors me voilà, encore plus perdue qu'il y a quelques heures. Du moins c'est ce que je crois. Le temps n'a pas la même définition au Paradis, il est plus malléable ou plus lent. Pourtant, parfois, il revêt le manteau de la rapidité. Et là, je ne vais pas me mentir à moi-même, j'ai l'impression qu'il est plus véloce. Je n'arrive pas à me concentrer. Des biles vertes viennent bousculer mon esprit et j'aimerais déjà être cette nuit pour redescendre sur Terre afin de me détacher de mon fardeau.

Ou de le voir ?

Je ne sais pas ce qui est le plus fort. Mon besoin d'être en paix ou d'être avec lui ? Ce cheminement qui prend possession de mon âme est indéfinissable. Cela me trouble. Je ferme les yeux et soupire en essayant de ne pas y songer, mais mes pensées se percutent avec violence dans mon être, me laissant avec cette incertitude qui ébranle continuellement mon âme : je désire le retrouver.

Je me lève aussitôt, n'en pouvant plus. Je saisis mon péché sur le regard étonné de Sitael. Sans rien ajouter, je passe ma pierre autour du cou et quitte la pièce. J'ai besoin de me balader au Paradis et non pas dans un espace cloisonné pour savoir où placer l'Homme dans la hiérarchie. Une fois dans ce couloir lumineux, je fixe l'extrémité au loin de ce tunnel immense. Une ligne droite, presque aveuglante. Je songe encore aux portes. Pour chaque verrou se cache une tablette de la parole de Dieu. Des tablettes dont j'ignore parfois le secret. Plus je m'avance et plus je pense au fait que ce couloir est infini. C'est d'ailleurs sa fonction. À chaque nouvelle tablette, une porte se matérialise et une sécurité que seul Metatron connaît la scelle. Mon Régent ne divulguera jamais aux autres anges mis à part ce Conseil certaines paroles du Créateur. Nous ne savons pas tout, c'est Dieu qui décide ce qu'il peut partager avec nous.

J'écarte mes ailes, et m'envole pour quitter plus vite mon niveau. À pied, le couloir paraît si long. Je me dépêche et au moment où j'atteins presque la sortie, Sitael m'appelle dans mon dos. Je me retourne, mon frère se hâte pour me rejoindre. Il s'arrête face à moi, le regard inquiet.

— Es-tu pressée, Mahasiah ?

— Oui, j'ai... je n'arrive pas à m'imaginer un lieu dans une salle. J'ai besoin d'espace.

Il me sourit, puis passe son bras sur mon épaule.

— Je comprends, et toi ? Comment te sens-tu avec...

Avec qui ? Gadrel ? Je me surprends moi-même de ma pensée, mais heureusement pour moi, je l'ai dissimulé. J'essaye d'être rassurante, ne souhaitant en rien révéler mes derniers instants avec l'Archange.

— Oui, je... maîtrise comme je le peux la luxure.

— Tu es forte, Siah. Ne l'oublie pas, car ce n'est pas pour rien que c'est toi qui es en charge de celui-ci. Nous savons tous que tu es la plus pure de nous sept.

Il me sourit avant de m'embrasser le front. Son baiser et ses paroles sont d'un réconfort pour mon âme le temps d'une seconde.

— Va chercher un lieu pour l'Homme, petite sœur. Je te laisse travailler.

Je lui rends son regard tendre et ravale la bile d'amertume dans ma gorge. Celle de la désolation et de la culpabilité. Un sentiment qui ne m'est pas inconnu depuis des siècles. Toutefois, je prends une goulée d'air puis esquisse un faible sourire avant de lui répondre :

— Oui, et essaye de convaincre Elémiah de ne pas le faire trop grand. J'ai déjà tant de mal à imaginer si immense.

Sitael pouffe puis se retourne pour filer à nouveau vers la salle de Conseil. Je quitte le niveau le plus élevé et observe le Paradis de cette hauteur. Ma vue se baisse sur les huit autres Chœurs. Je songe soudain au deuxième rang. Je connais les missions de chacun, mais les Archange doivent sûrement se réunir pour concevoir plusieurs tactiques de guerre.

Aussitôt, ma peau subit un assaut glacé qui la parsème de toute part. En frottant mon pendentif à travers ma tunique, je ressens sa chaleur qui se propage à nouveau. Je soupire en tentant de ne pas y penser. Je préfère réaliser ma tâche que d'endurer ces tourments.

Je m'envole alors et descends les niveaux jusqu'à arriver aux derniers. Devant la magnificence de la tour, je scrute ce qui m'entoure. Dans mon dos, l'étendue est déserte, immaculée de blanc et de lumière divine. La première porte qui se dresse face à moi est celle des Légions. En me retournant depuis celle-ci, l'entrée du Paradis est si loin. Je marche sur cette étendue vide de tout et réfléchis.

Je pourrais demander à ce qu'un étage supplémentaire soit ajouté pour avoir dix niveaux au lieu de neuf, mais je ne saurais même pas quoi mettre dans cet espace, ne connaissant pas encore l'utilité de l'Homme. Je grogne contre moi-même, car il faut admettre que j'ignore dans quel but je dois créer cela. Mes ailes voguent dans cette immensité en essayant de structurer mes idées qui s'envolent parfois mieux que moi-même. La vérité, c'est que je tourne surtout en rond. Dans ce vide, la seule chose que je discerne en levant la tête, ce sont des passages. Des milliers de chemins qui mènent aux différents niveaux. Est-ce que l'Homme pourrait vivre sur l'un d'entre eux à la vue de tous ?

Je me maudis de ce concept stupide et bats des plumes encore. Plus je m'éloigne de la tour et plus je m'écarte d'une idée correcte. Je ne vois que de petites formes. Rondes, ovales ou allongées. Des couleurs et des odeurs différentes. Je me redresse et réalise que je suis devant l'entrée du Paradis. En me retournant, j'observe cette étendue. Les Chœurs sont minuscules de là où je suis. On n'arrive même pas à distinguer les neuf niveaux. Il ne s'agit que d'un bloc lumineux au loin. Je soupire une fois encore et m'assois face à la porte du Paradis. Mes yeux redécouvrent ses ornements ou ses couleurs. De l'or et du diamant plus brillant que celui qui est sur Terre selon les Archanges. Des courbes fines, puis rondes, s'entremêlent les unes aux autres. Un dessin arboré et délicat. Dieu a façonné lui-même la porte du Paradis et elle est à son image. Grande, puissante, magnifique. J'aime ses formes et ses nuances alors je m'égare dans cette beauté jusqu'à ce qu'une idée me parvienne enfin.

GADRELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant