Devoirs

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Les deux premières semaines de cours s'écoulent sans catastrophe notable. Heather mange avec moi le midi et m'appelle le soir pour discuter des devoirs. Elle est capable de parler pendant des heures !! Alors je coince le combiné contre mon oreilles et de temps en temps je murmure des "mmm-mmm" tandis que je zappe sur les chaînes câblées. Rachel et toutes les personne que je connais depuis neuf ans continuent à faire comme si je n'existais pas. On me bouscule beaucoup dans les couloirs. À plusieurs reprises, mes livres m'ont été "accidentellement" arrachés des mains avant de s'écraser par terre. j'essaye d'être au dessus de ça. Ça finira bien par passer..

Au début, maman était plutôt douée pour préparer le dîner avant de partir au boulot, le matin. Elle mettait tout au frigo, et il n'y avait plus qu'à réchauffer. Mais j'ai toujours su que ça ne durerait pas. Quand je rentre à la maison, maintenant, je trouve un mot, genre : "Pizza. Voilà le numéro. Laisse un petit pourboire cette fois." Attaché à la feuille avec un trombone, un billet de 20 dollars. Dans la famille, on a un système bien rodé : on communique par le biais de petits mots qu'on laisse sur le plan de travail de la cuisine. J'en écris quand il me faut des fournitures scolaires ou quand je veux qu'on m'emmène au centre commercial. Mes parents, eux, notent l'heure à laquelle ils vont rentrer du travail et s'il faut que je sorte quelque chose du congélateur. Qu'y aurait-il d'autre à dire, franchement ??

Maman doit encore faire face à des problèmes de personnel. Me mère est la gérante d'Effert, une boutique de vêtements du centre-ville. Son patron lui a proposé de tenir l'autre magasin, celui du centre commercial, mais elle à refusé. Je crois qu'elle aime bien voir la réaction des gens quand elle dit qu'elle travaille en ville. 

"Vous n'avez pas peur ??" Lui demande-t-on en général.

"Je n'irais pas travailler là-bas même pour tout l'or du monde."

Maman adore faire des trucs qui font flipper les autres. Elle aurait pu être charmeuse de serpents. Le problème, avec la boutique du centre-ville, c'est la difficulté à trouver des vendeurs. Les vols à l'étalage quotidiens, les SDF qui pissent sur la vitrine, les petits braquages à main armée à l'occasion, tout ça semble décourager les postulants. Allez savoir pourquoi. On est seulement mi-septembre et elle pense déjà à Noël. Elle a des flocons de neige artificielle et des Père Noël plein la tête. Si elle ne trouve pas suffisamment d'employés dès maintenant, elle sera dans une galère pas possible au moment des fêtes. Je commande une pizza à 15 h 10 et je mange sur le canapé blanc. Je ne sais pas ce qui est passé par la tête de mes parents le jour où ils ont acheté ce canapé. Le truc, quand on mange dessus, c'est de retourner les coussin du côté déjà sale. Car notre canapé à deux personnalités : "Melinda-la-Paria, grande consommatrice de pizzas champignons-chorizo" d'un côté, et de l'autre : "Personne ne mange dans le salon, pas de ça chez nous ma petite dame". Je me goinfre devant la télé jusqu'à ce que le moteur de la jeep ronronnant dans l'allée m'annonce le retour de mon père. Flap, flap, flap - je retourne les coussins pour exhiber leurs belles joues blanches, avant de filer comme une flèche à l'étage. Quand papa ouvre la porte, tout est en ordre, conforme à ses attentes, et moi, j'ai disparu. 

Ma chambre est celle d'une parfaite inconnue. Le reflet de la petite fille que j'étais en CM2. Je traversais alors une période délirante où je pensais qu'il fallait tout recouvrir de fleurs et que le rose était une couleur vraiment génial. Tout ça, c'était la faute de Rachel. Elle avait supplié sa mère de refaire la déco de sa chambre et, au final, on s'est toutes retrouvées avec de nouvelles chambres. Nicole à refusé d'accrocher une sorte de petit napperon ridicule autour de sa table de chevet et Ivy a donné dans la démesure, comme d'habitude. De son côté, Jessica a opté pour un style western. Ma chambre, quant à elle, s'est retrouvée coincée au milieu de tout ça, avec des éléments glanés ici et là, chez tout le monde. Il n'y a que la collection de lapin en peluche que j'avais commencé quand j'étais petite et mon lit à baldaquin qui m'appartiennent vraiment. Nicole pouvait bien se moquer de moi, il était hors de question que je me sépare de mon baldaquin. J'aimerais changer mon papier peint parsemé de fleurs, mais maman s'en mêlerait forcément, puis papa débarquerait pour mesurer les murs et ils finiraient par se disputer au sujet de la couleur de la peinture...De toute façon, je ne sais pas trop ce que je veux...

Je n'envisage pas un seul instant de faire mes devoirs. Mon lit m'envoie de puissantes vibrations soporifiques. Impossible de résister à l'appel des oreillers moelleux et de la couette bien chaude. je n'ai pas d'autre choix que de me glisser sous les couvertures. J'entends papa allumer la télé. Cling, cling, cling - Il jette des glaçons dans un verre à whisky qu'il remplit d'alcool. Il ouvre la porte de micro-ondes - pour réchauffer les restes de pizza, je suppose -, la referme d'un coup sec et programme la cuisson - bip, bip, bip. J'allume ma radio pour qu'il sache que je suis à la maison. Je ne vais pas faire une vraie sieste. Il y a cet endroit spécial, ce moment à mi-chemin sur la route du sommeil où je peux passer des heures. je n'ai même pas besoin de fermer les yeux, il me suffit de rester à l'abri sous ma couette et de respirer. 

Papa monte le son de la télé. J'entends le présentateur du journal qui braille : "Cinq morts dans l'incendie d'une maison !! Une jeune fille agressée !! Des adolescents soupçonnés d'avoir braqué une station de service !!" Je mordille une croûte sur ma lèvre inférieure. Papa zappe d'une chaîne à l'autre. Il regarde les mêmes infos en boucle. Je vois mon reflet dans le miroir, de l'autre côté de la pièce. Beurk. Mes cheveux disparaissent complètement sous la couette. J'essaie de discerner les contours de mon visage. Pourrais-je dessiner un visage dans mon arbre, comme une nymphe de la mythologie grecque ?? Deux yeux soulignés de cernes terreux sous des sourcils noirs semblables à deux traits d'union, un nez de cochon et une bouche hideuse, toute craquelée. Rien à voir avec le visage d'une nymphe. je n'arrive pas à m'empêcher de me mordre les lèvres. C'est comme si ma bouche appartenait à quelqu'un d'autre, quelqu'un que je ne connais pas. Je sors du lit pour aller décrocher le miroir. Je le range au fond de mon armoire, face tournée vers le mur...

Vous parlez de ça....Où les histoires vivent. Découvrez maintenant