Terrier

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Hier, Chewbacca m'a arraché à la salle d'étude pour m'obliger à faire dans son bureau les devoirs que j'avais "oublié de rendre". (elle à émis des petits sons chevrotants empreints d'inquiétude et évoqué la possibilité d'une réunion avec mes parents. Pas bon pour moi, ça.) Du coup, je n'ai pas été informée qu'aujourd'hui, la salle d'étude serait transférée dans la bibliothèque - et personne n'a jugé utile de me mettre au courant... Quand enfin je comprends, l'heure est presque terminée. Je suis morte. J'essaie d'expliquer ce qui s'est passé à la bibliothécaire mais seuls des bredouillements incohérents sortent de ma bouche.

- Calmez-vous, calmez-vous. Tout va bien. Ce n'est pas grave. Vous êtes Melinda Sordino, c'est ça ?? Ne vous inquiétez pas. Je vais vous marquez présente. Et je vais en profiter pour vous expliquer comment ça fonctionne ici. Quand vous pensez que cous allez être en retard, il suffit de demander un billet de retard à un professeur. Vous voyez ?? Il n'y a pas de quoi pleurer.

Elle sort un petit carnet vert - les jokers. Je souris en m'efforçant d'articuler un "merci" mais je n'arrive toujours pas à parler. Elle me croit submergée par la reconnaissance de m'avoir épargné un avertissement. Pas loin. Comme il ne me reste plus assez de temps pour faire un petit somme, je choisis quelques livres à emprunter, histoire de lui faire plaisir. Il se pourrait même que j'en lise un.
 Je n'ai pas eu mon idée géniale tout de suite, mais au moment où Cou-de-taureau me poursuit jusqu'à la cafétéria pour me réclamer mon devoir sur les "vingt techniques de survie des Iroquois dans la forêt". Je fais semblant de ne pas le voir. Je traverse la file d'attente regroupant les affamés du midi, contourne un couple en train de se rouler une pelle sans pudeur près de la porte et m'engouffre dans un couloir. Cou-de-taureau s'arrête pour réprimer l'outrage public. Je fonce vers le bâtiment des Terminales. 
 Me voilà en territoire inconnu, là où aucun élève de Seconde n'a jamais mis les pieds. Je n'ai pas le temps de me soucier des regards qu'on me lance. J'entends Cou-de-taureau, toujours à mes trousses. Je bifurque, j'ouvre une porte et pénètre dans l'obscurité. Je garde la main sur la poignée, mais Cou-de-taureau n'essaie pas d'entrer. J'entends le bruit de ses pas s'éloigner dans le couloir. J'explore à tâtons le mur près de la porte, jusqu'à trouver un interrupteur. Ce n'est pas dans une salle de classe que je me suis réfugiée, mais dans une sorte de cagibi où règne une odeur de vieille éponge.
 Le mur du fond est tapissé d'étagères sur lesquelles des manuels scolaires poussiéreux côtoient des bouteilles d'eau de Javel. Un fauteuil taché et un bureau démodé se cachent derrière un assortiment de balais. Un miroir fêlé penche au-dessus d'un lavabo rempli de cafards morts reliés entre eux par une dentelle de toiles d'araignées. Les robinets, rongés par le rouille, ne tournent plus. Ça doit faire une éternité qu'aucun gardien n'est venu prendre sa pause ici. Ils ont une nouvelle salle et une remise pour le matériel près de la zone de livraison. Les filles du lycée évitent d'ailleurs de traîner dans le secteur, parce qu'ils n'hésitent pas à mater et à nous siffler quand on passe devant eux. Ce local est abandonné - il n'a aucune utilité, aucun nom...L'endroit rêvé pour moi.
 Plus tard, en sortant de ma cachette, je vole un carnet de billets de retard sur le bureau de Chewbacca. Je me sens mieux, beaucoup mieux. 




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