- Du jasmin.
Du jasmin, c'est ce qu'il y a devant moi. Et en général, je ne considère pas les pots de fleurs comme des objets offensifs, mais celui-ci m'est balancé dessus tellement violemment que, potentiellement, il s'agit d'une arme par destination. Peut-être qu'au lieu de dire « Du jasmin » comme un mec trop fier de lui de savoir mettre un nom sur une pauvre plante, j'aurais dû dire « T'es qui et tu fous quoi dans ma chambre ? ». Mais non. On m'a collé sous le nez un tas de petites fleurs blanches qui sentent très bon, et au lieu de m'insurger, j'analyse.
Je regarde par-dessus le pot de Jasmin. La personne qui le tient à bout de bras est de sexe masculin, avec l'air content de lui et un tee-shirt à l'effigie des Razmokets. Tout. Un. Programme. Il me sourit et réponds :
- Pas exactement.
Vas-y, fais ton malin, mec. Ça fait trois secondes que t'existes, tu entres dans ma chambre comme si c'était Open Bar, tu me fracasses limite le crâne avec ton pot de fleurs et en plus tu me reprends ? C'est quoi ton problème dans la vie ?
Il faudrait peut-être que j'arrête d'autant discuter avec moi-même.
- Bien sûr que si. C'est du jasmin. Qu'est-ce que tu veux ?
- Te souhaiter la bienvenue au Parc. Et ça, c'est mon cadeau.
Il ne se démonte pas. Il entre, pose le pot sur l'espèce de bureau sous le lit en hauteur et s'appuie contre l'échelle avec un sourire. D'un seul coup je perds ma vague assurance. Les chambres du pensionnat sont minuscules. Des couloirs, en fait. Un lit en hauteur avec un bureau dessous, un lavabo et un genre de petite commode, le tout contre un mur, avec l'espace pour circuler le long de l'autre mur. Deux mètres de large maximum pour trois mètres cinquante de long. Sept mètres carrés. Le luxe. Et là il me barre l'entrée. Comme il est grand et massif et qu'en plus ma chambre est encombrée par mon énorme valise que je n'ai pas encore commencé à déballer, j'ai l'impression d'être complètement coincé.
Et je suis de – super – sale – humeur. Vraiment pas le jour pour faire connaissance. Je suis énervé, bouleversé et j'ai envie d'envoyer chier tout l'univers.
- Merci.
Je regarde le pot de fleurs. C'est clairement du jasmin. Les petites fleurs blanches en forme d'étoiles, les feuilles vert foncés... Et puis l'odeur. J'aime l'odeur du jasmin, je la trouve douce et sensuelle. Il y en avait, chez moi. Quand j'avais un chez moi.
Le garçon me tend la main. Je lève les yeux au ciel parce que quand je suis énervé, j'ai besoin de l'exprimer très clairement, et je la serre.
- Je m'appelle Benjamin mais on m'appelle Ben.
Je ne réponds rien, je lâche sa main et j'essaye de me maîtriser.
Je ne suis pas un chieur. Vraiment... Non. Je suis peut-être un peu étrange, un peu froid, un peu insatisfait... Mais pas un chieur. Au contraire, j'essaye toujours d'être conciliant pour excuser les traits désagréables de mon caractère. Mais aujourd'hui... Je me sens tellement mal que j'ai envie de faire mal à quelqu'un pour me défouler. Mais il ne faut pas. Il faut que je me maîtrise. Parce que je suis... Capable de faire des choses profondément stupides quand je suis en colère. Non, pardon, je suis capable de faire des choses profondément stupides tout court. Faire des conneries sans nom, c'est mon rayon.
- Comment tu t'appelles ?
- Tristan.
Il rigole. Il rigole et j'aurais dû le voir venir, c'était marqué sur sa grande bouche que c'était un con.
- C'est « triste » comme prénom.
Et il rigole encore plus.
D'un seul coup je ne suis plus en colère. Je suis mal, profondément mal. J'ai envie de pleurer, j'ai envie de tout casser, j'ai envie de disparaître. C'est horrible à quel point ça me fait mal. Je croise les bras sur mon torse pour protéger mon cœur, j'ai la mâchoire qui tremble tellement j'ai honte d'exister et dans deux secondes mes yeux vont se remplir de larmes. Je ne le regarde pas, je regarde par terre.
- Fous-moi la paix, s'il te plaît.
- Hey, c'était juste...
- S'il te plaît.
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Sous La Glace
Romance- Du jasmin. Il parait que les premiers mots que l'on échange avec une personne que l'on va aimer sont significatifs. Dans la mesure où la première phrase échangée entre la plupart des êtres humains est « Bonjour, ravi de vous rencontrer », « C...