Chapitre Neuf.

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Depuis quand ne parlions nous plus la même langue, mon amour ? Depuis quand avions nous cessé de nous comprendre ?

Et pourquoi a-t-il fallu que la communication soit rompue pour que je me rende compte qu'elle avait existé ?

J'étais encore incapable de me rendre compte de la valeur de ce que j'avais dans les mains.

Je pensais encore,

Je suis désolé.

Je pensais encore qu'il n'y avait que moi, qui t'aimais.

On n'était jamais sorti, la nuit. On savait que ce n'était pas pareil. Que la neige ne tombait pas, parce qu'il faisait trop froid. Que tout gelait, que les gens mourraient. Mais on ne savait pas. Ce que c'était vraiment, on ne savait pas.

Le vent soulève la neige encore fraiche et nous la balance dans la gueule, glacée et durci. J'ai l'impression d'avoir des égratignures partout sur le visage, sur le front et les joues. Garder les yeux ouverts est quasiment impossible, et bientôt Tristan s'arrête et m'aide à remonter mon tee-shirt sur mon visage, sur mes yeux. C'est un espèce de maillot de corps que l'on porte sous nos pulls, assez fin pour voir un peu à travers. De toute façon, on va tout droit. Alors... Il remonte également le sien, et pendant qu'il fait ça, tout proche de moi, je regarde son visage et j'ai envie de lui dire « laissons tomber, tu veux ? Si tu voyais ton visage, tu comprendrais. T'es rouge, mais rouge. Tu as mal, j'ai mal comme toi. Est-ce que tu sens tes doigts de pieds ? Est-ce que tu n'as pas l'impression que la peau de tes joues va s'arracher ? Ce n'est pas que je ne te fais pas confiance, Tris... C'est juste que c'est n'importe quoi. »

Mais je ne dis rien. On marche, à un moment je jette un œil vers l'arrière et seigneur, le campement est si proche. On avance si doucement. Et si l'on s'enfonce ? On ne va jamais y arriver. Et même si on y arrive, qu'est-ce qu'on va trouver, là-bas ?

S'il vous plait... Vous êtes rationnels comme moi, non ? Je veux dire... Ivan n'est pas là-bas. Ivan n'y est pas. Il n'a pas traversé le Luxembourg et la France pour rejoindre Tristan. Il est très probablement mort. Il n'est pas à deux kilomètres, il n'est pas coincé dans la neige à attendre l'arrivée de Tristan pour le sauver. Et on ne peut risquer... Enfin, c'est n'importe quoi. Peut-être que Tristan peut « sentir » qu'Ivan est vivant. Mais pas « sentir » qu'il est à deux kilomètres en train d'agoniser. Et en marchant dans cette Sibérie horrifiante, je mets 75% de mon cerveau à essayer de ne pas mourir et les 25% restants à me demander pourquoi je cours au-devant de la mort, dans ce cas.

Et puis brusquement, c'est évident, c'est le jasmin de Tristan qu'il a mis dans l'infirmerie et qui ne refleurit pas encore, mais qui subsiste, malgré tout. Ça fleurit dans ma tête et je demande :

- Tristan ?

Il ne répond pas. Il ne m'entend pas, avec tout ce vent. Je devrais avoir peur, parce que ça pourrait être ça, mais étrangement... Je n'ai pas peur. Je serre plus fort ses doigts, on se penche l'un vers l'autre et je lui dis :

- Est-ce que tu fais ça pour pouvoir mourir ?

Il se redresse, tire son tee-shirt hors de ses yeux et je fais pareil parce que je n'arrive pas à respirer, comme ça. On se regarde un moment, dans la lumière de la lampe tempête que je tiens à bout de bras, et celle de la lune, à travers la glace qui volète en tous sens.

- Ca, quoi.

- Aller là-bas. Est-ce que rejoindre Ivan, c'est seulement un moyen de partir mourir dans le froid ?

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