Chapitre Dix.

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Je crois que quelque part, j'en avais rêvé. Peut-être que je lisais trop, et que lorsque les récits chevaleresque se mélangeaient aux romans gothiques et aux articles de Maïa Mazaurette, alors je finissais par avoir ces désirs complètement tordus.

Mais comprend-moi, Ben. On m'avait aimé gentiment, puis on m'avait aimé durement, mais personne n'avait pris le temps de m'aimer passionnément.

Mon héros

L'hiver éternel. La saison des amours. Ce n'est pas sensé aller ensemble, si ? Pourtant... J'ai l'impression d'être entouré de couples qui batifolent. Et également d'être devenu une autre personne. Qui ne pense qu'à ça tout le temps, qui ne pense qu'aux autres, à ses sentiments, qui essaye de comprendre ce qu'il ressent vraiment à l'intérieur, et de démêler, et de tirer, et de ressentir. Mais je ne suis pas comme ça, moi... Je ne suis pas plein de sentiments qui font des loopings et qui rebondissent. Je suis... Tellement...

Triste...

Je suis allongé sur le ventre, sur une banquette d'un compartiment ou l'on a entreposé divers trucs. Je n'arrive pas à bouger. C'est le milieu de l'après-midi, je devrais être en train de... Je n'en sais rien. De faire quelque chose. Mais je n'arrive plus à me lever. Je n'arrive plus à faire comme si je me foutais de tout, comme si la seule chose qui m'importait c'était moi, parce que même ça... Ça ne m'importe plus vraiment.

Il y a des rayons de soleil qui percent à travers la neige. C'est plus fréquent qu'avant. Je joue avec les ombres de mes doigts sur le tissu de la banquette. Mais j'ai les larmes aux yeux. Sans aucune raison. J'ai mal au cœur, aussi, et au ventre. L'absence de légumes frais commence à me peser beaucoup, comme à tout le monde. L'absence de but commence à me tuer.

Et pourtant ça ne fait qu'un mois qu'on est là, trois depuis la catastrophe. On a un but : Survivre. Reconstruire. Débuter une nouvelle ère. Mais moi, je voudrais seulement qu'il arrête de neiger. Moi...

Il faut que j'arrête de pleurer. Je ne pleurais jamais, avant. Les gens se reposent toujours sur moi. Parce que je suis fort. Parce que je suis grand et massif. Parce que j'ai l'air de m'en foutre de tout, et que je suis gentil. Parce qu'ils savent que je vais les écouter, sans les juger. Que je vais faire mon possible et qu'après, ils seront rassurés. Mais moi, je ne me repose pas sur eux. Jamais. J'ai essayé, pourtant.

J'ai rencontré Gabrielle à une soirée d'intégration, en première année. J'avais dû la croiser dans le réfectoire avant mais je ne l'avais pas remarquée. A cette soirée, j'ai bu. Trop, ou pas assez, je ne sais pas. Elle est arrivée. Elle s'est assise à côté de moi sur le hamac ou j'étais occupé à avoir l'alcool triste. On a commencé à parler, de rien, de cul, de conneries. Et brusquement, je lui ai tout raconté. Mon enfance. Ce qui c'était passé avec ma mère, et avec mes parents adoptifs. C'est sorti d'un seul coup. Et elle m'a écouté. Elle m'a parlé d'elle, de son enfance à elle. Nous nous sommes dit des choses que nous n'avions pu raconter qu'à nos amis les plus proches. J'ai raconté à une inconnue des choses que j'avais avouées à Emma au bout d'un an de relation.

Je me suis appuyé sur Gabrielle. Pas beaucoup – c'était mon enfance, c'était terminé. Mais quand même. Je lui ai donné une part de ma souffrance, au lieu d'absorber directement la sienne. Et de cette façon tellement étrange, on est devenus amis. En brulant pas mal d'étapes. Mais au fond, même si ses bras me rassurent, même si je me sens soutenu, même si je peux tout lui raconter... C'est quelque chose d'autre que je voudrais. C'est quelque chose... Qu'elle pourrait me donner, mais... Comme si je n'arrivais pas à lui demander. Je voudrais pleurer. Je voudrais pleurer très fort, et très longtemps, et je voudrais que quelqu'un pleure avec moi. Je voudrais que pendant un moment, il n'y a plus de partage, mais que quelqu'un absorbe ma souffrance, m'en débarrasse. Ne me propose pas de solutions, ne me donne pas de conseils. M'écoute et me serre dans ses bras, en me disant que tout va s'arranger, en me disant que je compte, que ça va aller. Je ne sais pas très bien, je ne pourrais pas définir exactement ce dont j'ai besoin, et surtout je ne pourrais pas le demander à qui que ce soit. Mais je voudrais que ça arrive quand même. Parce que je me sens seul. Terriblement seul. Recroquevillé sur la banquette, dans le silence tellement immense et absurde. Je me sens si seul. Je sais que je pourrais sortir, et demander, à Gabrielle, à Tristan, même à Sacha ou à n'importe qui : S'il te plait, prend moi dans tes bras, serre moi, rassure moi, je ne supporte plus ce monde, ce froid, cette vie, j'ai l'impression que tout autour de moi est sombre, opaque. Serre moi dans tes bras, fais entrer un peu de lumière.

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