Chapitre Quatre

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J'ai voulu te demander pardon.

Mais ce jour-là, ces mots n'ont franchis ni tes lèvres ni les miennes. Nous ne pouvions pas. Nous ne pouvions simplement pas.

Alors aujourd'hui, je voudrais te demander pardon. Mais je ne sais pas si je peux. Parce que je te le demande déjà si souvent, convulsivement, à en pleurer, pardon, pardon, je suis désolé.

Mais je te détestais, aussi.

Et je ne l'ai pas oublié.

Je fais un rêve. C'est la seule chose qui me tient encore, parfois. Ce n'est pas un vrai rêve, je ne dors pas. C'est dans ma tête, je ferme les yeux et j'imagine que c'est vrai. Je suis allongé dans mon lit, à St-Foy. Gabrielle dort à côté de moi. Je passe un bras autour de sa taille, je respire l'odeur de ses cheveux. Je passe la main sous son débardeur, sur son ventre. Elle a des vergetures sur le ventre, vers la taille. J'aime bien suivre ces cicatrices avec mes doigts. La peau est différente, un peu moins douce, mais c'est comme un secret. Sa peau si douce a ce maillage hasardeux, une carte au trésor. Tigresse, pirate. Mon amour. Elle se tourne doucement vers moi, réveillée par mes caresses. Elle décoince les cheveux qui chatouillent son cou, s'étire un peu, cherche à l'aveuglette son portable dans le lit pour pouvoir regarder l'heure.

- Tu fais chier, ma belette. C'est la nuit.

- C'toi la belette.

- Nia nia nia.

J'embrasse son nez de lutin, elle fronce les yeux et fait surgir les fossettes de son sourire. Elle m'attire à elle, je me blottis dans ses bras. Elle demande :

- Tu as fait un cauchemar ?

- Non. Un rêve. Et puis j'ai ouvert les yeux, et finalement c'était la réalité.

- T'es niais, demain je te mets un serre-tête.

- Le rapport.

- Cap ?

- De mettre un serre-tête pour aller au Parc ? Tu crèves, j'ai une image de marque à tenir.

- Moi aussi, et pourtant je sors avec toi.

- Charogne.

Elle rit encore, ça fait des étincelles de soleil que j'essaye d'attraper avec ma bouche. Mes lèvres contre les siennes, nos mains un peu partout, le lever de soleil tout rose par le velux.

- Je t'aime...

Elle attrape mes mots en l'air, les appuie sur son cœur et me murmure sa réciproque. Mais quand je veux l'embrasser à nouveau, je ne rencontre que le tissu de ma taie d'oreiller. Saloperie de réalité.

Je ne me sens pas bien. Et je n'arrive pas à savoir depuis combien de temps. Je me frotte la joue, les poils sont rudes sous mes doigts. Les draps sont froids, tout seul je ne les réchauffe pas. J'ai un peu mal au cœur, au ventre, un sentiment que j'ai trop souvent ces derniers temps, un genre de poids et de vide à la fois. Je n'aime pas trop ce qu'on mange. Ça manque fraichement de trucs frais. Et puis c'est une telle plaie de cuisiner qu'on en vient à manger des conserves pas vraiment cuites. A côté, je me gave de biscuits. L'un dans l'autre, j'ai faim et j'ai mal au ventre comme si j'avais trop mangé.

Je ne bouge pas de la journée. Je n'ai pas le courage. Je n'arrête pas de dormir, de faire des cauchemars et je me réveille tout seul alors le cauchemar semble continuer et je ne sais pas quoi faire pour que ça s'arrête. La vie est un immense cauchemar, je lis Anna Karenine et j'ai froid, tellement froid, pourquoi est-ce que je lis des histoires russes pleines de neige, c'est quoi mon problème ? Je n'ai pas changé de fringues depuis des jours, ni mangé autre chose que des aliments en boite qu'on n'est pas sensé manger comme ça, genre du caviar d'aubergine, une boite entière et j'ai envie de vomir mais j'ai tendance à être boulimique quand je suis angoissé. J'attends que les jours passent et je n'aurais pas pensé que la fin du monde pourrait être un emmerdement pareil mais j'ai l'impression de devenir fou. J'ai rangé deux fois le placard de nourriture en refaisant un inventaire tout neuf pour ne pas mourir et j'ai compté les préservatifs restant en me disant que peu importe tellement mon niveau de libido est descendu en dessous de l'océan. Difficile d'avoir envie de faire l'amour par cette température. C'est plus le coup à se frotter contre le matelas en espérant sentir un peu de chaleur qui monte dans l'estomac mais même foutre mes mains glacées dans mon caleçon, j'ai la flemme, de toute façon c'est le silence radio là-dedans. C'est le silence partout. Parce quand je remets le son, dans ma tête il y a toujours ce « Non, Non, Non » et je n'ai pas le courage.

Sous La GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant