Chapitre Six.

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Je n'ai plus envie de te parler.

Je répète :

- Est-ce que tu m'aimes parce que je suis moi... Ou est-ce que tu m'aimes parce que je suis là ?

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- C'est moi que tu aimes, ou c'est...

Je cherche mes mots dans le noir. Peut-être qu'ils se baladent quelque part entre nous. Mes mots mais les siens, surtout. La réponse à une question que je ne m'étais jamais posé auparavant.

Je crois que j'ai passé beaucoup de temps à faire comme si Tristan ne m'aimait pas. Jusqu'à qu'il devienne complètement impossible de continuer à penser comme ça. Je n'aime pas particulièrement me voiler la face, ça ne sers à rien. Et quand il est venu passer la nuit chez moi, je le savais déjà. Un peu avant qu'il ne dise les mots pour la première fois, je le savais. Et pendant un tout petit moment, quelques heures à le tenir dans mes bras, je l'ai accepté. Pendant quelques heures, j'ai supporté ce qu'il me faisait. La façon qu'il avait de me rendre si faible. Et que je ne supportais habituellement pas. Je l'ai accepté. D'accord, très bien. C'est ce que tu me fais ressentir. Je l'accepte, aussi douloureux que cela puisse être. Tu es là, je suis près de toi et quand tu bouges, les vibrations vont jusqu'à moi. D'accord, je l'accepte.

Je ne l'ai pas accepté longtemps. Au matin, j'étais déjà en train de refuser, ses mots et mes pensées. Mais c'était trop tard. Il fallait jouer avec cette constante : Tristan m'aime. Et moi, je... Je ne sais pas. Et puis brusquement, il y a une nouvelle donnée à mon équation foireuse. Son amour, qui était comme une pierre envoyée à mon visage, que je pouvais tailler en diamant, utiliser en brique de soutien, jeter aux ordures, cet amour qu'il m'avait donné, je me demande s'il est vrai. Ce qu'il signifie.

Il n'y a que deux possibilités. Soit Tristan a un problème, soit il ment. Parce que pour m'aimer vraiment... Il a forcément un problème. Et là, brusquement, je me retrouve à me dire que peut-être... Qu'il ne m'aime pas moi. Qu'il a besoin d'aimer, et que c'est tombé sur moi. Qu'il lui fallait quelqu'un, comme une cible à viser, un endroit où planter toutes ses flèches qui s'entassent en lui. Un exutoire à tout ce qu'il est, tous ses désirs, tous ses besoins, d'être regardé, touché, écouté. Tout ce qu'il a besoin de prendre mais aussi de donner. Tristan a besoin de quelqu'un qui le raccroche à la vie. Et Tristan m'a choisi.

Je le regarde, sa peur sous l'incompréhension, qu'est-ce que je veux dire, qu'est-ce que je vais lui reprocher, est ce que je l'aime ? Est-ce que je l'aime ?

- Ou c'est quoi, Ben ?

- Ou ça pourrait être quelqu'un d'autre.

Il se frotte les yeux avec ses poings, égare ses doigts dans ses cheveux. Lève une main, la laisse retomber. Mais comme je ne bouge pas, que je ne suis ni froid ni en colère, il finit par poser sa main sur mon épaule, et la laisse glisser jusqu'à mon coude. J'ai... Je suis comme... Abattu. Lourd. Je ne sais pas pourquoi.

- Pourquoi est-ce que tu me demande ça ?

Ça me prend si fort à l'intérieur d'un seul coup, j'ai l'impression d'en avoir les larmes aux yeux. De regarder quelque chose qui s'écroule, c'est en moi et si loin à la fois. Et je voudrais lui dire, lui dire que je l'aime, même si je n'en suis pas sur je voudrais lui dire, et je n'ai jamais eu de mal à le dire à personne, mes je t'aime ils sont si faciles, si évidents parce que c'est toujours évident pour moi mais pas là. Là ça me fait peur et mal et est-ce que je peux le dire si je n'en suis pas sûr ? Est-ce que je ne vais pas tout gâcher ? Et après, qu'est ce qui va se passer ?

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