SEPTIÈME

600 115 172
                                    

EN ME LEVANT ce matin, ma mère était déjà partie travailler et ma sœur était dans un état pitoyable, elle était étalée sur la moquette du salon, un sachet d'herbe ainsi que Louis à côté d'elle

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

EN ME LEVANT ce matin, ma mère était déjà partie travailler et ma sœur était dans un état pitoyable, elle était étalée sur la moquette du salon, un sachet d'herbe ainsi que Louis à côté d'elle.

Je commençais ma routine matinale par le petit déjeuner, je me retrouvais donc devant mes placards me présentant des pains aux chocolats, des paquets de biscuits et de céréales, je tiens à préciser que ma mère achetait ça exprès pour moi vu que Byulyi ne mangeait que des pommes.

J'attrapais un Petit Prince, je le détaillais longuement, ce truc était mauvais pour moi mais c'était comme mon anti-stress. Je finis par le manger, au fur et à mesure qu'il se transformait en bouillie dans ma bouche, je me dirigeais vers l'évier et le crachais. Et ça, je le faisais tout le temps, je mastiquais la nourriture pour savourer son goût paradisiaque mais dès que j'étais à deux doigts de faire pénétrer cette infâme nourriture dans mon organisme, je la recrachai.

J'étais arrivé au lycée, ce jour était particulièrement stressant car je devais terminer mon projet de chinois Mandarin avec Yifan, je me souviens de lui car nous nous sommes retrouvés ensemble en PRÉPA.

Il devait être aux alentours de midi, pendant que tout le monde se dirigeait vers la cantine ou vers Aldi pour aller manger, j'allais directement chez Yifan pour être sûr de finir notre projet oral au plus vite, je me répétais consciemment que j'irais manger une fois que nous aurions fini.

Quand j'étais assis sur son lit, il m'avait toisé durant dix bonnes secondes, les sourcils froncés, j'avais tripoté mon visage pour voir si je n'avais pas quelque chose au coin des lèvres ou du nez mais il semblait que quelque chose d'autre le déranger.

— Mec, t'es sûr que ça va ? Demanda-t-il.
— Euh... Oui, pourquoi ? Je ne comprenais toujours pas pourquoi il faisait cette tête.
— Ton visage... commença-t-il, t'es devenu pâle, t'es orange d'habitude.

J'aurais pu me passer de la fin de la phrase.

— Oui, je dois sûrement être fatigué, j'ai pas réussi à dormir hier soir à cause de Byulyi, expliquais-je.
— Ah ouais, c'est vrai que t'as une sœur carrément à l'ouest.

Tout le lycée connaissait Kim Byulyi pour sa réputation de droguée, elle était impliquée dans tous les plans foireux ou les fêtes dégénérées de la ville. Elle s'était même faite connaître des services de police, le Sergeant Irwin ne la lâchait jamais du regard.

Nous travaillions sur la Chine Médiévale, y a plus intéressant comme sujet mais c'était impératif pour valider notre niveau A2 en Mandarin, Yifan ne parlait pas un seul mot de Mandarin parce que ses parents voulaient qu'ils s'intègrent du mieux possible en France. Autant vous dire qu'il avait l'air bien débile durant les repas de famille où tout le monde parlait Chinois sauf lui.

On devait être en fin d'après-midi lorsque le chinois s'était brusquement levé de son lit et avait brandit les mains en l'air.

— Halleluja ! On a fini !
— Tu t'occupes d'imprimer ?
— Ouais ouais, corrige juste les fautes pendant que je vais chercher un truc à manger, t'as faim ?

Cette question sonnait comme un piège à mon esprit, Yifan devait se douter que si j'en étais arrivé ici, c'était que je mangeais à longueur de journée donc il devait bien se douter que j'avais tout le temps faim. Je voulais juste lui prouver que j'étais entrain de changer, que je n'étais pas une sorte d'obèses stéréotypé qui mangeait deux menus Burger King à lui tout seul.

— Non non, prends-toi ce que tu veux, assurais-je en souriant.
— Minseok, j'suis pas Docteur House mais je crois vraiment que tu devrais manger, insista-t-il. T'as l'air blafard.
— Je suis juste un peu malade, mentis-je.

Sauf qu'en réalité, ce n'était pas un mensonge, j'avais appris plus tard que j'étais réellement malade, que j'avais des troubles psychiques, que le fait d'avoir une obsession maladive sur mon poids était quelque chose d'incurable par des médocs, que c'était quelque chose que seul l'esprit était capable de réparer.

C'est comme l'amitié, il faut se réconcilier avec l'autre personne pour être de nouveau en harmonie avec elle, bien là c'était pareil, mon esprit devait se réconcilier avec mon corps. Se pardonner à soi-même est la chose la plus difficile au monde, être indulgent, s'aimer, je ne me rendrais jamais compte des bonnes choses que j'avais faites mais me souviendrais toujours des mauvaises.

Comme la foi où je me suis battu avec ma mère.

C'était à la fin de la semaine, vendredi soir, ma mère était donc à la maison et était en mesure de cuisiner. J'avais été attiré par l'odeur de poulet qui était entrain de frire dès dix-huit heures. J'avais éteint la plaque chauffante sous le regard confus de ma génitrice.

— Minseok, rallume la plaque, ce n'est pas un jeu, fit-elle en continuant de couper ses légumes.
— Effectivement, la nourriture, ce n'est pas un jeu, arrête de faire autant à manger.
— Je tiens à vous faire à manger, vous avez manger dehors toute la semaine donc un plat chaud vous fera du bien ! Dit-elle en souriant.

Quand j'y repense, je m'en veux encore d'avoir osé faire du mal à ma mère, elle m'élevait seule, essayer de faire face aux crises de ma sœur, travaillait durement pour que l'on ne manque de rien, nous donnait tout son temps et son amour, avait perdu l'amour de sa vie et j'avais osé lui rajouter un poids à la conscience.

Elle pensait que c'était de sa faute si monsieur Kim était mort, que Byulyi était droguée et avait un casier judiciaire, que son fils se faisait du mal, elle pensait que quelque chose ne tournait pas rond et qu'elle rendait les gens malheureux.

J'avais attrapé la poêle pleine d'escalope et l'avait foutu dans l'évier avant d'allumer l'eau. Ma mère était entrain de me rendre malade, je le pensais à l'époque, tout était de sa faute.

— Qu'est-ce que tu fais ? Minseok, t'as perdu la tête !

J'ai honte, mais je l'avais poussée jusqu'à ce que son dos ne se heurte contre la porte du frigo, j'étais rouge de colère, je ne faisais que crier, j'avais enlevé mon t-shirt pour qu'elle puisse voir le monstre qu'elle avait créé.

— Regarde ce que tu m'as fait ! Je ne suis pas comme les autres à cause de toi ! Qui aime les gros ?! Au lycée, personne ne m'aime à cause de toi ! Hurlais-je.

Elle avait pleuré aussi, beaucoup pleuré mais pas comme moi, elle avait baissé sa tête coiffée d'un chignon et était silencieusement retournée couper ses légumes. Le silence est la pire des violences.

Plus tard dans la nuit, j'avais passé une heure la tête dans le frigo, entrain de manger des restes. Lasagne, salade, part de gâteaux, je mangeais tout non-stop. J'avais l'impression que le monde entier était contre moi, que ça ne servait à rien de vivre trois secondes de bonheur pour toute une vie de malheur.

Je commençais à être dépressif, je remettais mon existence en question: à qui je manquerais, que les gens vivraient mieux sans un boulet tel que moi, que j'étais la honte de la société. J'étais frustré, je mangeais jusqu'à ce que je ressente une atroce douleur au ventre. Je m'étais mis à quatre patte, avait attrapé une fourchette qui traînait dans le coin puis l'avait à peine mis dans ma bouche qu'une énorme bouillie sorti de mes entrailles.

Je m'étais mis à pleurer, à taper mon front contre le carrelage froid de la cuisine, je ne me rendais pas compte à quel stade j'en étais arrivé. Je me vidais, mangeais, la nourriture est un besoin vitale à notre corps et je l'avais rendu comme sa torture, la torture de goûter sans avaler.

J'avais encore une fois tout nettoyer à la javel afin que personne ne sente l'odeur le lendemain matin, j'avais changé de pyjama pour m'apprêter à le rechanger le jour suivant, ma vie se transformait en une roue cauchemardesque, un enfer que j'avais pourtant crée de toute pièce.

20/02/2017HYPERPHAGIE

hyperphagie ! minseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant