CINQUIÈME

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MAIS LE PIRE était encore à venir, ça se voit que vous ne m'avez jamais accompagné faire du shopping, c'était un calvaire

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MAIS LE PIRE était encore à venir, ça se voit que vous ne m'avez jamais accompagné faire du shopping, c'était un calvaire.

— Debout ! S'écria Byulyi en retirant ma couverture.
— Non, s'il te plaît ! Je vais encore prendre peur, j'ai dû prendre deux tailles de pantalon !

Ma sœur lâcha un juron avant de tirer mon bras jusqu'à ce que je tombe lourdement sur le sol, je restais recroqueviller sur moi-même, les yeux fermés, j'étais littéralement entrain de lui faire un caprice.

— On est au printemps, t'as plus rien à te mettre et ça serait bien que tu changes de style, j'sais que t'es en L mais fais un effort.

Toujours ces vilains préjugés mais bon elle n'avait pas tout à fait tord. Je me relevais afin de me préparer, me voir dans le miroir ne me donne aucune envie de me rendre présentable, je préférais m'ignorer, c'était beaucoup plus simple que d'affronter ce que j'étais.

Dans le bus, j'adorais me mettre à côté de ma sœur, elle était tellement belle, même quand un garçon se retournait, j'aimais me dire que c'était moi qu'il regardait, j'espérais avoir les traits aussi doux que ceux du visage de Byulyi.

— Eh, on n'a pas souvent l'occasion de parler de ça mais, y a quelqu'un qui te plait en ce moment ? Demanda-t-elle.

Je ne savais pas quoi répondre, même si j'adorais parler aux autres et passer un temps agréable à discuter avec les gens, ces derniers n'avaient pas l'air d'apprécier ma présence, j'étais peut-être un peu lourd sur les bords (sans mauvais jeu de mot). Je ne sais pas si j'étais quelqu'un de drôle ou d'au contraire, très chiant mais je n'avais pas beaucoup d'amis, juste des connaissances.

— Pourquoi "quelqu'un" ? Tu penses que je suis gay ?
— On sait jamais, on est tous un peu tarés dans cette famille, rétorqua-t-elle.
— Bien, personne ne m'intéresse en particulier, que ce soit en amitié ou en amour, c'est le néant, confirmais-je.

Byulyi ne répondit pas, elle continuait de regarder fixement devant elle, elle devait être triste de savoir que son petit frère n'était pas comme tout le monde et qu'il n'arrivait pas à s'immiscer correctement dans la société actuelle à cause de son "problème". Elle avait toujours eu une bande d'amis avec laquelle elle a toujours été très proche, elle ne devait pas comprendre les gens "sans-ami" tels que moi.

Puis arrivés au Mall, je me rappelle avoir pleuré dans les cabines d'essayage lorsque je m'étais rendu compte que je ne rentrais plus dans un 42 et que j'allais devoir passer à la taille supérieure.

— Minseok ? Tout va bien ? Fit ma sœur derrière le rideau.
— N...Non, euh... Byulyi ? Balbutiais-je.

Elle ne me répondit pas, je voyais ses bottes en dessous du rideau puis elle partit, elle a compris que j'avais encore pris du poids et que mon état était loin de s'améliorer.

Quelques heures plus tard, je m'étais retrouvé dans un parc, assis dans l'herbe fraîchement tondue, je regardais la lueur orange qu'avait pris le ciel sans m'alerter de rentrer maintenant sous peine d'être complètement dans le noir d'ici une heure.

J'arrachais les fines herbes, les mains aussi humides que mes joues, je n'arrivais pas à croire que j'en étais arrivé à ce stade pourtant, j'aurais dû m'en rendre compte la semaine dernière lorsque je n'arrivais plus à redescendre de la corde en accro-sport.

Ou alors la sale manie que j'avais à finir les assiettes des autres après m'être resservi plusieurs fois pourtant je vivais dans un pays développé où je ne risquais pas de manquer de nourriture alors pourquoi fallait-il que je me sente obliger de finir un paquet de biscuit entier alors que j'allais en avoir un nouveau le lendemain ?

C'est alors que je me suis aperçu que je ne mangeais pas par plaisir mais par automatisme, je mangeais comme je respirais, je dénigrais le sport alors qu'il est bénéfique à notre corps, ce qu'on mange, c'est fait pour être dépensé, pas pour être stocké.

Je m'étais levé, avait séché mes larmes de lâche puis m'étais dirigé vers un coin non-fréquenté du parc. J'inhalais un bon coup, mon cœur défonçait ma cage thoracique, je sais que j'avais fait la chose la plus stupide de ma vie mais je me sentais tellement... inapproprié, mon corps n'allait pas avec mon âme, je me sentais tout simplement pas bien.

Et se sentir mal dans son propre corps est certainement la pire torture qu'il soit. Comme si on ne se sentait pas en sécurité dans sa propre maison.

J'avais enfoncé mon index dans ma bouche, pratiquement dans ma gorge, un frisson indescriptible avait parcouru mon être lorsque tout ce que j'avais avalé dans la journée se retrouvait éjecter sur le tronc d'arbre devant moi.

En se goinfrant, on éteint toute envie, on étouffe son âme et son esprit. On se transforme en loque qui ne réfléchit plus qu'à deux choses essentielles : manger puis vomir. Se remplir puis se vider. C'était ce que j'étais devenu, vous vous sentez probablement au-dessus de ça, assez confiant pour ne jamais en arriver là mais dîtes-vous qu'à la base: j'étais comme vous et que vous, vous pouvez devenir comme moi.

Le soir même j'étais finalement rentré chez moi, avait assuré aux deux femmes qui comptaient le plus au monde à mes yeux que j'étais simplement parti faire un tour histoire de prendre l'air après les terribles examens que je venais de passer.

A cette époque, j'étais déjà conscient que ce n'était ni ma mère ni ma sœur qui était en position de m'aider, de me donner des conseils, elles n'arrivaient déjà pas à gérer leur propre vie, qu'est-ce que j'allais les embêter avec mes problèmes d'ado complexé.

Je me souviens avoir été sur plusieurs forum où plein de personnes racontaient leur trouble alimentaire et c'est là que des mots étaient trop de fois répétés: handicap, maladie, boulimie, anorexie, hyperphagie et j'en passe, des mots à vous en faire des nuits d'insomnies.

Au début on se sent maître de soi-même. J'avais conscience que les crises et les vomissements n'étaient pas tout à fait normaux, que j'avais un problème. Mais j'étais alors convaincu de maîtriser, qu'il ne s'agissait que d'accidents passagers.

Seulement cette drogue vous saisit au plus profond de vos tripes et devient une béquille, sans laquelle on ne s'imagine plus vivre. Sans laquelle on ressent des angoisses paralysantes. Des angoisses qui vous empêchent de faire quoi que ce soit.

C'est là que le cauchemar a commencé, que la balance perdait la boule, que les médecins ne savaient plus quoi faire, que je passais du 38 au 44 en un mois, mon corps était devenu incontrôlable, j'étais ma propre victime.

L'enfer, c'est moi-même. Je suis mon propre enfer. Mon propre diable qui me tue à petit feu.

14/02/2017 + HYPERPHAGIE

hyperphagie ! minseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant