Chapitre 4♢

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[Version Réécrite.]

– Putain, juré-je en laissant tomber mon front sur la panoplie de documents étalée en désordre sur ce bureau.

Game over. Je répète Game Over. L'actrice est morte. Causes du décès : engourdissement de jambes; paralysie des doigts, violente migraine, apparition subite d'une étrange cécité, et autres. Je ne suis même plus capable d'appuyer sur une touche de clavier. Même arrêter un stylo à bille me dépasse.

Sérieusement, je commence à détester mon boss. Il l'a fait exprès. Je le sais. Je l'ai réalisé à la sournoiserie peinte sur son visage. C'est le début du martyr. Vais-je réussir à aller jusqu'au bout ? Et une illumination dans ma tête m'empêche de continuer sur cette pensée pessimiste: L'-A-R-G-E-N-T. Que ne ferait-on pas pour ce mot? Il est tout simplement miraculeux.

Revenons à mon problème, mon cerveau ne cesse de me mettre un clignotant d'avertissement pour que je ralentisse le rythme. J'ai besoin de quelques minutes de repos. En voilà des heures que je traduis, et je ne suis même pas arrivée à la moitié du premier document.

Une chanson mélancolique retentit dans ma tête: l'heure du renvoi est proche. Je ne pensais pas que pour un premier jour, les choses allaient s'avérer autant corsées. L'espace d'un instant, j'ai cru, non j'ai fantasmé sur sa générosité fantomatique. J'ai pensé qu'il allait me ménager un peu, me laissant le temps de m'habituer aux nouvelles choses, de m'aider à être plus à l'aise dans ce nouveau rôle, dans le but de me familiariser avec ma nouvelle fonction. Mais non…il ne fait que confirmer ma première opinion à son sujet : boss prétentieux qui veut à tout prix se montrer exécrable avec sa nouvelle employée.

J'inspire. J'expire. Je sais qu'il veut juste me tester. Ma période d'essai ne fait que commencer, et je parie qu'il va se montrer le plus acariâtre possible pour que je décide de m'en aller par moi-même. Soit ! J'ai eu le temps de jeter un coup d'œil sur le contrat, et je peux assurer que mon salaire mensuel m'aidera à devenir…comment dire déjà…un tout petit peu obéissante. Je peux encaisser ses petits coups, à condition qu'il ne pousse pas le vice.

Blasée, je regarde le travail que j'ai commencé à accomplir d'un œil dégoûté. Le problème en soi, n'est pas la traduction. Comme je l'ai dit à monsieur Lockwood, le japonais est une langue que je maîtrise sur le bout des doigts. C'est plutôt le fait qu'il m'ait accordé un délai exagérément court pour remplir cette mission avec brio. Veut-il que j'aie une tête de déterrée comme dans Z-Nation ? Je sens comment je vais sacrifier deux nuits de sommeil, pour mener à bien ce projet.

Saleté de boss ! Il a fallu que je tombe sur le méchant de l'histoire.

– Il n'y va pas quand même de main morte, rit une voix féminine depuis l'entrée.

Je lève les yeux vers la porte, et suis surprise de découvrir la secrétaire rousse. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Elle a une espèce de nom de pizza. Margarita je crois. Non ça c'est plus une boisson mexicaine, qui soit dit en passant est très bonne. Elle me sourit. Je lui renvoie son sourire. Tout est naturel. Elle se détache de l'encadrement, et avance à petits pas vers moi.

– Je me présente Margerita Pearson, dit-elle en refermant la porte derrière elle. On n'a pas eu l'honneur d'être présentées.

– Enchantée moi c'est Zoé Bridgestone, répliqué-je en me penchant légèrement en avant pour saisir la main qu'elle me tend.

– C'est tout à fait agréable de rencontrer un visage tout frais, tout jeune. Puis-je ? demande-t-elle en pointant du doigt une des chaises qui fait face à mon secrétaire.

J'acquiesce.

– Ne vous en faites pas pour tout ceci, reprend-elle en désignant d'un mouvement de tête les documents ouverts sur mon bureau. Raphaël est un peu…spécial.

Spécial du genre ? J'ai envie de rire jaune. Si sa spécialité c'est de se comporter comme un riche PDG prétentieux et arrogant, alors oui il excelle dans la matière.

– Il est juste con, ouais, m'exclamé-je sans réfléchir.

Cinq secondes plus tard, je me retrouve en train de faire des yeux ronds suite à ma bêtise incarnée. J'ai parlé sans réfléchir. Comment est-ce que je peux commettre pareille erreur, hein ? Et en plus devant la secrétaire. Elle va aller moufter, c'est sûr. Je ne suis qu'une petite nouvelle, qui en plus a le culot de traiter le boss de con. C'est sûr qu'elle va cafter. Aïe. Je suis mal.

– Oh pardon je ne voulais pas…

– Ce n'est pas grave, me rassure-t-elle, même si c'est un ami très proche, il m'arrive souvent de penser comme vous.

Mon soupir est si profond qu'il force mes épaules à se relâcher. Ouf ! Je ne vais pas être virée de sitôt. Tant mieux. Jusqu'à présent, tout roule. D'un coup, je me dis que je vais bien l'aimer cette Margerita. Elle doit être de la tranche d'âge de Raphaël, et je suis contente de savoir qu'elle n'a pas le même tempérament que lui. Elle est plus douce, plus polie. Totalement naturelle. Et puis je la trouve aussi jolie avec ses cheveux roux noués dans un chignon strict qui s'agencent à des yeux verts étincelants. Elle a l'air d'être quelqu'un de bien.

Puis, un détail bloque dans mon cerveau. A-t-elle bien dit qu'elle et Raphaël étaient des amis ? En plus proches ? Je suis totalement abasourdie, que je ne me retiens pas de rire nerveusement.

– Incroyable, je ne savais pas qu'un homme ayant un pet de…je veux dire qu’un homme comme lui pouvait avoir des amis, c'est surprenant.

Merde. J'ai failli dire qu'il avait un pet-de-travers devant son amie. Merde ! Faut que je mette une barrière qui filtre les mots qui sortent de ma bouche. J'ai trop peur de perdre ce boulot.

L’A-R-G-E-N-T.

Elle se contente de sourire. Bon ou mauvais signe ?

__ Et si on allait déjeuner ? propose-t-elle tout à coup, ce qui a le don de me surprendre.

Première personne vraiment aimable que je rencontre dans ces locaux, et qui ne me regarde pas de travers ni ne me parle hautainement.

– Je ne peux pas, refusé-je la mine assombrie en me rendant compte de l'énorme boulot qui m'attend, j'ai tous ces documents à traduire, et je n'ai pas de temps à perdre. Mon poste est en jeu là.

– Laissez-moi deviner, Raphaël vous a-t-il menacé de vous virer au moindre écart ?

J'acquiesce.

– Il fait le coup à tout le monde, avoue-t-elle en faisant la moue. Si vous voulez, je peux vous apporter un peu de mon aide.

– Maîtrisez-vous la langue japonaise ?

Elle fait une mimique interloquée.

– Finalement, je crois que je vais m'abstenir.

Je ris, et la seconde d'après elle m'imite.

– Néanmoins vous avez besoin de décompresser, ajoute-t-elle, Raphaël est légèrement excessif sur les bords, mais ce n'est pas un monstre au point de vous interdire d'aller déjeuner.

J'arbore une moue pas très convaincue.

– Je ne sais pas…

– Faites-moi confiance, c'est moi qui vous le dis. De plus c'est l'heure de la pause-déjeuner, d'ailleurs c'est moi qui vous invite. Vous n'allez quand même pas me refuser un tel plaisir ?

Oh ! Elle est trop sympathique cette nana. C'est décidé, je l'aime bien. Au pire, si Raphaël me sermonne, elle prendra le coup à ma place. C'est elle qui a insisté, monsieur Lockwood. Elle s'est montrée très persuasive. C'est décidé. Je vais manger. D'ailleurs mon estomac qui a entendu ma pensée, gronde signe qu'il est d'accord avec cette idée.

– C'est d'accord. Vous m'avez convaincu.

– Parfait ! On se rejoint devant l'ascenseur, le temps que je récupère mes affaires.

Je hoche la tête et la regarde partir, un petit sourire aux lèvres. Sourire qui s'éteint lorsque mes yeux tombent sur mon travail à moitié débuté.

Ai-je déjà dit que je commençais à haïr mon boss ?

– Je connais un super restaurant où on fait des tacos, des burritos, de la vraie spécialité mexicana, je suis sûre que vous allez adorer, bien évidemment si vous appréciez la cuisine mexicaine, annonce-t-elle alors qu'on s'engouffre dans l'ascenseur.

– Et comment ! J'aime à peu près tout ce qui est bon.



Le restaurant en question s'appelle «O'mexico». L'intérieur est petit, mais on ressent tout de suite l'ambiance chaleureuse. Une décoration plutôt simpliste, dans des couleurs brunes. Les nappes à carreaux rouge recouvrent chaque table, et une musique espagnole nous plonge dans le bain latino. C'est ce genre d'endroit que j'aime, et dans lequel je me plais sans grand effort, contrairement aux restaurants trois étoiles, où seulement le prix de l'eau gazeuse te fait voir des étoiles.

– Elle est  là, prononce Margerita d'une voix enthousiaste.

Je n'ai pas le temps de lui demander de qui elle parle, qu'elle slalome déjà entre les tables, d'un pas pressant. Je me contente alors de la rattraper. Quand j'arrive à sa hauteur, mon cœur rate un battement. Non sérieusement ? Pourquoi a-t-il fallu qu'on se coltine cette table, parmi toutes celles de libres ? Le problème n'est pas la table, loin de là. C'est juste la personne qui s'y trouve qui m'emplit d'une désagréable sensation.

– Cassie, piaille Margerita en retirant son manteau et en s'installant confortablement.

Je me fais violence pour ne pas m'enfuir en courant. Au contraire, et parce que je veux me montrer courageuse, d'ailleurs je n'ai rien à me reprocher, je prends place aux côtés de la rousse. Cassandra se retrouve face à nous, et elle me regarde d'un air malveillant, ne se cachant pas de me considérer comme un microbe.

– Et c'est qui elle? demande-t-elle sans cesser de me fixer.

Margerita répond sur un ton enjoué:

– C'est Zoé, la nouvelle assistante personnelle de Raphaël. Pour l'instant, elle est en période d'essai.

Cassandra pouffe, toujours en me fixant de son regard glacial.

– Encore une autre, pourquoi Raphaël prend-il le temps d'embaucher une nana qu'il renverra à la fin de la semaine ?

Je sens mon estomac se nouer de peur. Ayant eu un léger aperçu du caractère de mon patron, j'imagine qu'il serait capable de le faire. Quel con ! Cela signifie-t-il que mes jours sont comptés ? J'espère au moins que je toucherai un dédommagement pour licenciement abusif.

Margerita fait claquer sa langue d'un signe réprobateur.

– Il faut toujours que tu sois désagréable, la réprimande-t-elle avant de se tourner vers moi: ne fais pas attention, Cassandra est jalouse à chaque fois qu'une jolie fille s'approche de Raphaël.

Je lance un regard interrogateur à la rousse, brusquement requinquée par une curiosité morbide. Cassandra qui jusque là n'avait pas réagi, éclate d'un rire tonitruant.

– Tu racontes encore des bêtises Margerita, se moque-t-elle, un sourire vicieux crayonné au coin de ses lèvres. Pourquoi serais-je jalouse d'une fille comme elle, qui en plus n'est pas du goût de Raphaël ?

Je cligne frénétiquement des cils, puis pousse un soupir agacé.

– Ce n'est pas comme si je n'étais pas là, continuez de parler de moi en ma présence. Ça ne me gêne absolument pas, ironisé-je en la fusillant du regard.

– Cesse d'être rabat-joie Cassie et redescends sur terre, ce n'est pas parce qu'il t'a sauté une ou deux fois que c'est parti pour le «Ils vécurent heureux et eurent plusieurs enfants».

Ha. Ha. Ha. Elle est bien bonne le dicton. Mais…un instant! Oh putain ! A-t-elle bien dit ce que j'ai entendu ou alors je suis victime d'une hallucination auditive ? Je dévisage Cassandra qui rosit de…honte? Puis ses yeux lancent des éclairs à la rousse, qui ne semble nullement gênée de la bombe qu'elle vient de lancer.

Premier jour, et j'ai déjà droit à des ragots intéressants.

Très intéressants!

– Tu viens de me couper l'appétit, rouspète sèchement la blonde en se relevant.

Elle rassemble ses affaires, et quitte le restaurant dans une démarche assurée, la tête haute. J'ai réalisé que c'est juste une façade, si elle avait pu tuer Margerita, la tête de cette dernière roulerait déjà sur la table.

Je ne peux m'empêcher de lancer un regard curieux à ma voisine. Elle tourne la tête vers moi, et esquisse un sourire malicieux. Comme si rien ne venait de se passer. Je me demande si je suis en droit de relancer le sujet. Ça ne me concerne absolument pas, ce ne sont pas mes affaires. Sauf que d'une part je suis extrêmement curieuse, je veux connaître la suite. Mon patron et cette chère Cassandra ont fait des galipettes ensemble, je comprends mieux pourquoi ils étaient si familiers la veille. Tout s'explique.

Margerita et moi échangeons une conversation silencieuse à travers nos yeux. Elle savait certainement que j'allais vouloir assouvir ma soif d'informations. Elle a commencé, alors qu'elle termine.

Je vous arrête tout de suite, je n'aime pas le commérage. Et je ne suis certainement pas une fana des ragots.

Ha. Ha. Ha !

Non, je déconne. De temps en temps, il faut bien se renseigner. Ça ne fait de mal à personne d'obtenir des informations susceptibles de nuire à une potentielle ennemie. Il faut toujours avoir un tour dans son sac. Et osez me dire que ça ne vous réjouit pas d'entendre des news sur la personne que vous voulez étriper.

Un serveur vient prendre nos commandes. Je prends un instant pour le détailler. Il n’est pas mal, même si son absence de taille joue pratiquement en sa défaveur. Ses yeux rieurs se posent d'abord sur moi, puis le sourire qu'il arborait s'élargit lorsqu'il découvre Margerita. Apparemment ils se connaissent. Hm. Leur petit jeu de flirt se met en route, et moi je passe pour une paumée. Ne voulant pas engloutir un plat qui me fera dormir, je commande des tortillas au maïs avec un thé glacé. Quant à la rousse, elle ne se prive pas de prendre une double portion de tacos avec deux shots de téquila.

Surprenant mon regard sur elle, ses sourcils se froncent.

– Quoi ?

Je hausse les épaules.

– À tout hasard, n'aurais-tu pas une histoire à terminer ?

Elle éclate de rire, et un sourire espiègle incurve l'ourlet de ses lèvres.

– J'ai piqué ta curiosité à vif hein.

Je me contente d'acquiescer.

– En temps normal et si ça concernait une autre personne, je ne me serais jamais permise de te demander la suite, mais voilà. Puisque Cassandra me déteste sans aucune raison valable, il faut bien que je sache certaines choses sur elle. On ne sait jamais.

Elle fait mine de réfléchir, dodelinant de la tête.

– Si je te raconte, promets-moi que tu ne le répèteras à personne.

– Promis juré, parole de scout, et à qui veux-tu que j'aille le raconter ? Tu es la seule avec qui je discute depuis mon arrivée.

– Attends je change de place.

Elle se lève, et va s'asseoir sur la chaise que Cassandra occupait quelques minutes plus tôt. Désormais nous nous retrouvons face-à-face.

– Bon, reprend-elle une fois à l'aise, je ne connais pas trop les détails car Raphaël n'a pas voulu m'en dire plus…

Nous sommes interrompues par l'arrivée de nos plats. Silencieusement, je maudis le serveur. Il nous souhaite bon appétit, et alors que je prie pour qu'il dégage, le bon monsieur choisit cet instant pour entamer le dialogue avec Margerita. Pincez-moi si je rêve.

– Comme je disais, poursuit-elle une fois l'autre emmerdeur parti, je ne sais ni quand ni comment c'est arrivé, mais j'ai juste su que Cassandra avait séduit Raphaël et étant une belle femme, il était impossible pour lui de résister. Ils ont couché plusieurs fois ensemble, et une fois je les ai surpris en pleine action dans son bureau à lui. Imagine, c'était le choc total, je pensais que j'allais m'évanouir, je voulais me transformer en souris pour disparaître.

Je lui adresse un sourire compatissant. J'ai eu exactement la même réaction qu'elle, lorsque j'ai surpris ma sœur et Ryan en pleine partie de jambes en l'air. J'avais juste envie de gerber.

– Et maintenant est-ce qu'ils sortent ensemble ?

– Non non. Elle a voulu quelque chose de sérieux, pas lui. Je ne sais pas si elle est toujours éprise, mais en tout cas c'est un vrai pot-de-colle, et il n'arrive pas à se débarrasser d'elle.

Tout en mangeant mes tortillas, un pincement au cœur me rend mal à l'aise. Je fronce les sourcils, étonnée par mon ressenti. Retirons déjà de la liste le sentiment de jalousie. C'est juste que…mon patron a mal choisi sa partenaire sexuelle.

– Elle force en fait, relaté-je, le mec dit qu'il ne veut plus de toi mais tu lui cours toujours après. Ça me fait un peu penser aux telenovelas.

– Exactement !

Nous rions et terminons de manger en échangeant quelques commentaires par-ci par-là. On apprend un peu plus à se connaître. Je sais déjà des choses sur elle, comme le fait qu'elle et Raphaël ont le même âge en l'occurrence vingt-six ans. Elle tient en quelque sorte le rôle de meilleure amie. Elle tente de me persuader qu'au fond, il est quelqu'un ayant un bon cœur, mais qu'elle arrête de perdre son temps.

C'est un prétentieux qui commence à me faire chier.

L'heure de la pause a duré plus que la normale chez nous. J'ai commencé à paniquer, mais elle m'a promis que je ne craignais rien. Tant qu'elle assume l'entière responsabilité, je lui fais confiance.

Nous finissons par retourner à l'entreprise, le ventre lourd. Je suis contente parce que j'ai l'impression de m'être faite une nouvelle amie. Aussi, j'ai appris quelques vilaines choses au sujet de Cassandra, comme ça si elle tente de me lancer son venin, je contre-attaque en lui balançant une sale vérité.

Quand on a une sœur comme la mienne, notre côté peste a tendance à vouloir sortir.


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My F*cking Boss. ( Publié chez &H)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant