Chapitre 11

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Les doigts tremblant sur le clavier, Lucie composa le code de déverrouillage que lui avait confié Bradley quelques heures auparavant. La peur lui nouait l'estomac : peur de ce qu'elle allait découvrir au bout de la passerelle, mais aussi de déclencher un signal qui alerterait les techniciens chargés de veiller au bon fonctionnement de la cité-bulle. Deux voyants lumineux, l'un rouge, l'autre vert, se mirent à clignoter en alternance sur l'écran de contrôle, et elle retint sa respiration jusqu'à ce que la lumière se stabilise sur le vert, et que la porte du sas se déverrouille avec un bang sonore.

Alors seulement, elle se détendit un peu, soulagée qu'aucun mugissement de sirène ne se soit fait entendre. Ce n'était pas une garantie absolue de leur discrétion, bien sûr, mais c'était déjà ça. Martha attrapa le battant qui s'était légèrement entrebâillé, le tira à elle avec circonspection et se pencha pour voir comment se présentait l'autre côté. L'immense passerelle vitrée qui menait à la couronne d'amarrage était plongée dans l'obscurité, et bien qu'elles se soient munies de lampes torches, elle allait devoir le rester pour ne pas attirer l'attention. Les deux femmes échangèrent un regard avant de s'engager dessus, l'une après l'autre. Le silence était total, seul résonnait le bruit de leurs talons sur le sol métallique.

- Je déteste y aller comme ça à l'aveuglette !

- Nous n'avons pas vraiment le choix. Tu perçois les mouvements des animaux marins de l'autre côté de la vitre ? La moindre lumière nous ferait immédiatement repérer.

- Peut-être pas au milieu de la nuit... La plupart des gens sont censés dormir, non ? C'est précisément pour cette raison que nous avons choisi ce moment.

- On ne sait jamais, je préfère ne pas prendre de risque. Tu connais le proverbe : prudence est mère de sûreté...

Suite à leur conversation avec Bradley, elles avaient découvert, à l'immense satisfaction de Martha, qu'un certain nombre de gens remettaient en cause la manière dont De Vallois imposait sa loi dans la cité-bulle. Le psychologue voyait défiler une part importante de la population atlante, et son handicap lui attirait la sympathie de la plupart d'entre eux. Les séances de thérapie faisaient partie intégrante du projet, et ce depuis la toute première immersion. Ils vivaient dans un espace clos, et comme pour les astronautes, cela nécessitait un suivi psychologique régulier. Or, De Vallois était persuadé d'avoir Fisher sous sa coupe. C'est pourquoi non seulement il lui fichait la paix, mais en outre, il n'hésitait pas à lui envoyer ses plus proches collaborateurs.

C'est ainsi que Bradley Fisher s'était tout d'abord vu confier, sous le couvert du secret professionnel, des cachotteries qui n'étaient pas si innocentes ou des remarques qu'il estimait parfois dangereuses. Il en était même venu, peu à peu, à servir d'intermédiaire entre ces résistants désorganisés mais que la peur et les injustices finissaient par rendre plus téméraires. Il savait des choses, il avait des contacts, et Martha finissait presque par considérer la mort de cette pauvre Lexie comme quelque-chose de positif, puisqu'elle avait décidé Fisher à se dévoiler. Elle gardait bien entendu cette pensée pour elle, sa douce Lucie en aurait probablement été outrée. Pour l'heure, elles devaient se hâter.

Autrefois, la passerelle était équipée d'un immense tapis roulant qui permettait d'accéder à la couronne située à son extrémité sans se fatiguer. Il avait été désactivé avec le reste, et les amis de Bradley n'avaient pas osé le remettre en marche, de peur que cette soudaine et non négligeable dépense d'énergie n'attire elle aussi l'attention. Lucie et Martha n'auraient pas dû mettre plus de deux minutes à parcourir la totalité du tunnel, mais elles prirent quelques instants pour admirer Nouvelle Atlantide vue d'en bas. Ni l'une ni l'autre ne l'avait jamais admirée de ce point de vue, habituellement réservé aux techniciens de maintenance, et c'était à n'en pas douter un spectacle extraordinaire.

Les Héritiers de Cendre (2017)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant