Chapitre 14

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Piero ouvrit l'écoutille d'accès à la navette dans un chuintement caractéristique, laissant pénétrer plusieurs litres d'eau de mer grisâtre à l'intérieur. Après sa déclaration péremptoire à Lucie, Artus s'était résolument rendu dans la petite soute attenante à la cabine. Il y avait déniché plusieurs combinaisons de plongée, remisées dans un caisson avec des bouteilles d'oxygène. Il s'était empressé de les récupérer, non seulement parce qu'ils ne savaient pas au juste à quelle distance de la côte ils se trouvaient, mais aussi et surtout à cause des radiations. Le radeau de survie gonflable, entreposé juste à côté, risquait également de leur être fort utile.

A présent, retranché derrière son masque en guise de protection dérisoire, il mordait avec nervosité l'embout du tuyau qui l'alimentait en oxygène, toute son assurance semblant s'être volatilisée.

Pourtant, Piero avait l'air de savoir ce qu'il faisait, mais les circonstances étaient pour le moins extrêmes, il fallait bien le reconnaître. Pour commencer, bien que son ami ait pris soin de mesurer avec attention l'angle de flottaison de la navette, Artus craignait d'être englouti, à peine l'écoutille entrebâillée, par des dizaines de milliers de mètres cubes d'eau glaciale. Grâce au ciel, rien de tel ne se produisit, la houle se contentant de les asperger copieusement. Il poussa un discret soupir de soulagement, stabilisant du bout des doigts le matelas gonflable sur lequel ils avaient harnaché le corps de Céline.

Après que Lucie l'ait tant bien que mal débarrassée du sang qui la souillait et qu'elle se soit assurée que l'hémorragie avait cessé, Piero lui avait bricolé une combinaison intégrale avec les moyens du bord. Ils avaient bataillé un long moment pour la lui passer, et elle reposait à présent sur le matelas auquel elle était étroitement sanglée, pour ne pas risquer de basculer de côté. Artus devait simplement veiller à ce qu'il ne se retourne pas durant l'extraction, mais ce n'était pas ce qui l'inquiétait le plus. A travers l'ouverture, il jetait des regards soupçonneux aux nuages gris sombre qui encombraient le ciel au-dessus de leur tête.

C'était la première fois qu'il le voyait, ce ciel immense, et il le terrifiait au-delà de tout. Sans y penser, il prit une grande inspiration tremblante avant de réaliser que c'était l'oxygène de sa bouteille qu'il pompait ainsi frénétiquement. Il se fit la réflexion qu'il aurait mieux fait de l'économiser, même s'il était conscient que les radiations le tueraient peut-être bien avant qu'il ne vienne à manquer d'air. Il jeta un coup d'œil à Lucie, quelques pas derrière lui, et croisa son regard noyé de larmes. La perte de Martha l'avait anéantie, et les deux garçons avaient eu bien du mal à la convaincre de les accompagner. Elle était convaincue que tout était perdu, et qu'ils étaient voués à une mort certaine.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'était la découverte de tatouages délavés, sur l'avant-bras de la vieille femme, qui avait paru la décider. Elle avait demandé à Artus de l'aider à installer Martha plus confortablement, et ce dernier s'était exécuté de bon gré même si, là où elle était à présent, la voyante se fichait sans doute éperdument de la position dans laquelle se trouvait son enveloppe terrestre. Avec douceur, il l'avait allongée sur les sièges inoccupés de la cabine, et Lucie s'était attelée à lui redonner un semblant de dignité, rajustant ses vêtements et ramenant ses mains sur sa poitrine. C'est à ce moment-là qu'elle avait découvert les marques bleues sur son bras.

Du point de vue d'Artus, il ne s'agissait pas de tatouages récents. La couleur en était fanée et la peau vieillie rendait les dessins un petit peu troubles. Mais Lucie avait réagi vivement, comme si elle ne les avait jamais vus et comme si leur simple présence renfermait une signification qui lui était complètement étrangère. Intrigué, Artus s'était légèrement penché en avant pour mieux voir. Les tatouages représentaient trois cartes, de tarot probablement, mais un tarot auquel il n'avait jamais joué ; les figures lui étaient complètement inconnues.

Les Héritiers de Cendre (2017)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant