EMILIEN, CELIA, puis SOSE et ODRADEK
Un corridor blanc, même disposition qu'au palier 5. Un buste sur pilier aux traits finement ciselés.
EMILIEN et CELIA se cachent dans les escaliers à droite.
EMILIEN
Vous êtes sûre qu'il va venir? Et s'il nous trouve?
CELIA
Un vieillard, ça ne prend jamais l'escalier. Et puis même s'il nous trouve... on ne fait que visiter.
EMILIEN
Tout simplement.
CELIA
Chut! J'entends quelque chose.
La porte de l'appartement s'ouvre : entre SOSE, qui referme derrière lui et s'avance vers l'ascenseur. Il s'arrête près du buste, qu'il tâte : ODRADEK, débusqué, bondit du buste et atterrit sur le sol. SOSE tente de l'attraper.
SOSE
Ah! Nous y revoilà! Je connais tes mille tours, infâme petite chose, depuis le temps que dure notre histoire. Quel âge avais-je, sept, huit ans? Il me semblerait bientôt être né en ta présence. Et toi, quel âge avais-tu? Quel âge as-tu, ce soir? Bien sûr, tu ne répondras pas, tu ne l'as jamais fait, et pourtant tu en es capable, je le sais, car je t'ai entendu, des années durant, murmurer derrière mes murs. Dès mon plus jeune âge, microbe, je t'ai entendu murmurer, mais on ne croit pas ce que disent les enfants, on ne les écoute pas, on ne les entend plus, et tu savais cela, n'est-ce pas? Les autres petits garçons jouaient aux billes, comme nous aurions tous dû le faire, mais moi, je n'en avais pas le droit: sans cesse, il me fallait écouter aux murs, arracher les plinthes et les rainures, enfoncer le bois des portes pour te déloger et te trouver! Tu ne me diras jamais d'où tu reviens, ni pourquoi, n'est-ce pas? Je sais que tu le peux, mais tu ne le diras pas. Et toute entière, pourtant, la ruine que je suis devenu, après toutes ces années, voudrait encore savoir...
Il bondit vers ODRADEK, qui s'échappe par les escaliers. SOSE tombe.
Maudit Odradek! Ne me laisseras-tu jamais t'approcher? Peu m'importe le bruissement implacable de l'horloge, mais toi! Oh, toi!!
A genoux, il veut frapper les murs de sa canne mais se retient, et émet un râle inhumain, proche cousin du grincement de porte. Puis il se relève en chancelant et prend l'ascenseur.
EMILIEN
Et là, qu'est-ce qu'on fait?
CELIA
En toute logique, nous aurions dû arriver, l'air de rien, et prendre l'ascenseur avec lui.
(elle monte les escaliers)
EMILIEN
Où allez-vous?
CELIA
Je remonte chez moi. Bonne nuit, Félicien.
EMILIEN
Emilien. Bonne nuit.
(il attend un peu, hébété, puis prend l'escalier à son tour)

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HÔTEL DERRINGER
Historical FictionAutomne/hiver 1940. Londres se recroqueville sous les bombardements de l'aviation allemande: c'est le Blitz. La ville est partiellement détruite, les foules se massent et s'enterrent dans les stations de métro : celui que les Londoniens appellent...