Le corridor est plongé dans l'obscurité.
Tous sortent de chez CELIA et referment la porte contre la pression de l'eau, qui filtre malgré tout.
Les traits du buste, dans la pénombre, sont difficiles à distinguer.
Grondement sourd derrière les murs.
FELICIEN
Bon sang, Célia! Qu'avez-vous touché pour déclencher un tel raz-de-marée?
CELIA
Et votre stratagème, il arrive? Rendez-moi mon chevalet!
EMILIEN
Efforçons-nous de rester calmes...
(TOMMY hurle)
FELICIEN
Toi, ta gueule! T'es aveugle, t'as pas peur du noir!
TOMMY
Exactement! J'ai peur du bruit qui fait trembler les murs tout autour de nous, j'ai peur de l'eau qui remue autour de mes pieds et qui monte, j'ai peur de tomber et de me noyer, voilà de quoi j'ai peur!!
FELICIEN
Espèce de petit—...
CELIA
Lui, au moins, sait ce qui le fait paniquer.
FELICIEN
Vous voulez que je vous dise? Cette masure me rend nerveux. Vous n'avez pas remarqué un seul petit détail qui cloche, ici-dedans, à commencer par ce torrent démesuré, alors que vous n'avez sans doute percé qu'un conduit dérisoire? Vous n'avez pas entendu—non, évidemment, vous n'avez pas la radio. Vous n'avez pas l'impression d'être épiée, surveillée, ou qu'on cherche à vous faire faire certaines choses qui n'ont ni queue ni tête? Qui n'ont peut-être de sens que dans le cerveau délabré dont elles sont issues? Le cerveau de qui, de quoi? Mais du GRAND ABSENT de cette minute cruciale, du formidable médium qui a senti venir la panne de courant avant tout le monde, et s'est défilé grossièrement avant la fin de la scène, je veux parler de cet ostrogoth de SOSE!!
(CELIA, TOMMY et EMILIEN se regroupent dans un coin, à distance de FELICIEN)
Où est-il, à présent? Ah, je comprends tes peurs, Tom Pouce, car il y a bien quelque chose derrière les murs de cette maison, ou plutôt quelqu'un!
(il frappe des poings contre les murs du couloir)
Montre-toi, vieux cafard! Faut-il te déloger? Magnifique! Je vais pouvoir crever le plâtre, arracher les rainures, éventrer toutes les portes de cette foutue baraque, comme j'en rêve depuis le commencement! Dussé-je démanteler Saint Paul pierre par—...
(il s'immobilise, puis se jette sur le buste qu'il brise sur le sol)
CELIA
Vous êtes fou, Félicien!
FELICIEN
Comment? Ne me dites pas que vous ne l'avez pas vu bouger! Ma parole, tout le monde devient aveugle, dans cette bicoque!
TOMMY
Non! Les bustes bougent, moi je le sais!
CELIA
Conséquence logique : vous réduisez en miettes une sculpture qui a peut-être trois fois votre âge. Bravo.
FELICIEN
Une sculpture? Qu'est-ce que vous racontez? Ouvrez les yeux, sortez de votre léthargie chronique, tous les deux: ce machin, là, c'est Sose!!
EMILIEN
Sose, Sose, vous en voyez partout, des Soses! Vous ne croyez pas plutôt...
Tandis qu'ils continuent d'argumenter, leurs voix s'estompent.
Des escaliers émerge M. TROMPETTE, un chandelier allumé à la main.
Il joue une courte mélodie à la trompette et tous se figent, comme hypnotisés, puis il redescend les escaliers et ils le suivent. Musique fantomatique.

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HÔTEL DERRINGER
Narrativa StoricaAutomne/hiver 1940. Londres se recroqueville sous les bombardements de l'aviation allemande: c'est le Blitz. La ville est partiellement détruite, les foules se massent et s'enterrent dans les stations de métro : celui que les Londoniens appellent...