8_ Kai

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J'éclaterais bien de rire s'il ne fallait pas réveiller les autres. Elle a les yeux grands ouverts, étonnée que je l'ai surprise. Il faut dire qu'elle n'est pas aussi discrète qu'elle semble le penser... Et puis d'un coup son regard change, elle se ressaisit, prête à se justifier. Mais je la devance, rien ne sert de perdre du temps en supplications et le temps presse.

« Je viens avec toi. »

Elle me dévisage, se pose sûrement un certain nombre de questions. Elle doit penser qu'il s'agit d'un piège, que je ne compte pas réellement partir avec elle. Alors je me justifie:

« - Je ne veux pas retourner à Jabtys, là-bas tout est gris et blanc. Je veux de la couleur, je veux découvrir le monde. C'est le moment où jamais pour montrer à mes parents que je ne suis pas celui qu'ils pensent, que j'ai le droit de vivre comme je l'entends. Je ne suis pas obligé de devenir ministre parce que mon père en est un, et son père avant lui ! Et puis, je ne peux pas te laisser y aller seule...

- Sur ce dernier point je suis d'accord !

Je reconnais immédiatement la voix sans me retourner. Mais que fait-il ici ? Il devrait dormir ! Aria me regarde paniquée, elle sait que, cette fois-ci, son frère ne laissera pas passer sa fuite.

- Je n'arrivais pas à dormir, je pensais à ce que nous étions en train de rater et je t'ai vu partir, me dit-il, voyant mon incompréhension.

- Et tu m'as réveillée aussi, tu oublies ça ! grogne Dune

- Oui, désolé, mais j'ai paniqué en voyant qu'Aria n'était plus dans son lit. Puis j'ai entendu Kai parler et ça m'a rassuré.

- Je ne savais pas que ma voix avait cet effet...

- Tu sais très bien ce que je veux dire. Bon, allons nous coucher, demain nous repartons, direction le Nord !

- Je savais bien que j'avais raison ! Vous considérez cette quête des oubliés tout aussi importante que je le pense !

- Je vois plutôt ça comme un accompagnement de personne insensée.

- Ce n'est pas ce que tu disais un peu plus tôt...

- Bon, je peux retourner me coucher, moi ? »

Nous éclatons tous de rire à l'exception de Dune. Il faut dire que ce n'est pas souvent qu'on la voit aussi bougonne. Enfin, nous retournons nous coucher, plus soudés que jamais, prêts pour la vrai aventure.

Lorsque je me réveille, Indrah est à son zénith, mais je suis tout de même le premier. Pour leur faire plaisir, je prépare un bon petit déjeuner et pars cueillir des fruits dans le bois qui nous entoure.

Petit à petit, ils sortent chacun à leur tour des tentes, Dune la dernière. Nous mangeons tous copieusement, conscients du long voyage qui nous attend. Nous rangeons le campement en silence et, une fois prêts, nous nous regardons.

Nous sommes enfin décidés à découvrir ce que, depuis si longtemps, nous cherchons. Nous allons réaliser un rêve d'enfance et, peut-être, par la même occasion, trouver une solution pour sauver Thasres.

Enfin, nous partons. Direction le Nord, les Nymphes, les icebergs ! Nous commençons notre voyage à pied. Il ne faut pas trop compter sur Aria et Euros, vu comment ce dernier était exténué la dernière fois qu'il nous a fait voler. Non, il vaut mieux qu'ils gardent tous deux leurs forces au cas où nous serions en danger.

Mais marcher, c'est fatiguant quand c'est avec des personnes lentes... Je passe mon temps à me retourner, les attendre, et ce qui m'énerve par-dessus tout, c'est que je n'entends rien aux conversations ! Alors oui, je pourrais ralentir, mais j'ai surtout envie de me dépêcher pour arriver le plus vite possible aux icebergs ! Mais peut-être que je me fatigue pour rien. Après tout, nous ne savons même pas à quelle distance nous nous trouvons de notre destination !

Enfin, après avoir parcouru au moins six lieux nous nous arrêtons dans un petit bois. Après avoir installé le campement, une idée me vient. Les tours de garde c'est bien, mais c'est fatiguant. Dune ne pourrait-elle pas sonder les environs ?

Je lui demande immédiatement et elle me confirme qu'elle peut en effet demander à la terre s'il n'y a pas de danger aux alentours. Et elle se met immédiatement au travail.

Sa préparation est pour le moins étonnante. Elle creuse deux petits trous dans le sol et s'assoit entre eux avant de plonger ses poings dans la terre. Ce qui se passe ensuite, je ne le comprends pas. Elle entre en communion avec la terre, elle lui parle comme elle dit. Mais moi je vois une jeune fille assise au milieu d'une forêt, le corps tendu et la tête renversée en arrière, comme si la terre elle-même tentait de l'entraîner dans ses entrailles, tandis que Dune lui résisterait.

Pendant ce temps, Euros et Aria sont partis collecter d'autres provisions tant qu'il y a des arbres fruitiers. Nous ne savons pas combien de temps durera le trajet jusqu'au Nord, et il ne faudrait pas que nous finissions sans ressources.

Enfin, Dune revient parmi nous. Elle est exténuée, mais porteuse de bonnes nouvelles : Les plantes lui ont assuré qu'il n'y avait aucun danger dans un rayon de trois lieues. Ce qui revient à quatre heures sans tours de garde.

Nous nous couchons rapidement après le repas. Je donne assez de puissance à notre feu de camp pour qu'il tienne jusqu'au milieu de la nuit. Ainsi, je me réveillerai lorsqu'il s'éteindra et je pourrai commencer mon tour de garde.

Bien sûr, tout se passe comme prévu et je me réveille seul au milieu de la nuit. Le silence qui m'enveloppe est vraiment apaisant. De temps en temps, une chouette hulule, brisant le calme ambiant. Devant moi le feu brille, me protège de l'invisible. Il projette des ombres et l'envie me prend de m'entraîner.

Alors je fais danser le feu, je le fais grandir, rétrécir. Sous mon commandement, il prend différentes formes, il devient tour à tour une danseuse, un phénix, un lion... Je lui chuchote mes pensées les plus profondes, les vois prendre vie. Cette pratique, qui permet de faire le vide au fond de nous, est normalement interdite, car n'importe quelle autre Salamandre peut récupérer mes pensées dans les cendres. Mais elle me passionne, et, au fil des années, j'ai appris à prendre mes précautions. Lorsque j'éteindrai le feu demain matin, je récupèrerai le gros des cendres et les disperserai dans la forêt, l'enverrai voler. C'est un beau spectacle aussi, les cendres qui portent mes pensées s'envolant au grès du vent.

Soudain j'entends un craquement. Je me retourne prêt à lancer du feu dans la direction du bruit lorsque je me rends compte qu'il s'agit d'Euros.

« - Fais attention ! La prochaine fois tu finiras brûlé !

- Je ne savais pas que tu parlais au feu.

- N'importe quoi ! Bon je vais me coucher c'est ton tour de toute façon.»

Je me dirige précipitamment dans la tente, personne ne m'avait jamais surpris ainsi ! Il ne faut absolument pas qu'il en parle...

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