7_ Caspian

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« Princesse ! Où êtes-vous ? » Cela fait une heure que je m'égosille à travers la forêt. Pourvu que rien ne lui soit arrivé ! C'est tellement fatiguant de devoir lui courir après dès qu'elle se met en tête de découvrir le monde. Combien de fois va-t-il falloir que je lui répète que derrière la forêt, il existe des peuples très dangereux qui autrefois nous ont bannis pour de simples problèmes territoriaux. En effet, notre élément étant l'eau, l'océan Maerien nous revenait de droit. Mais cela signifiait nous laisser un plus grand territoire, ce qui semblait impensable pour eux. C'est pour cela que nous occupons un petit territoire de glace, habitant les icebergs et nous nourrissant des fruits de nos pèches.

Enfin je la retrouve. Elle me tourne le dos, agenouillée dans la neige. Les flocons dansent autour d'elle, et sa chevelure couleur azur vole au vent. Elle est si belle au naturel, je ne comprendrai jamais pourquoi elle doit s'attacher les cheveux lors des grandes cérémonies. Ca la rend tellement plus sévère, si loin de ce qu'elle est réellement.

« Tu m'as enfin trouvée. » Elle se tourne vers moi, un grand sourire aux lèvres. Et son regard est si sombre comparé à toute sa personne qui rayonne...

« Oui, il faut que tu arrêtes, tu n'as plus l'âge de jouer. » Elle ne me répond pas et se contente de partir en courant en direction du rivage. Je la suis, la rattrape, mais elle me pousse et je m'écroule dans la neige. Je dois faire une tête très étrange, car elle éclate d'un joli rire. Pour me venger, je créé une boule de neige que je lui jette au visage. Aussitôt elle s'arrête et je crains de l'avoir blessée. Quel garde du corps affreux je fais, je blesse la personne que je suis censé protéger ! C'est alors que je reçois moi aussi de la neige à la tête, et le temps que je m'en rende compte, elle est déjà repartie en courant.

Je la retrouve sur le rivage, elle est déjà dans la petite barque, attendant sagement que je vienne pour la ramener au palais. Ce dernier n'est pas très loin, c'est le plus grand des icebergs et il est relié aux plus petits par des tunnels aquatiques. Pour éviter de dériver, il est aussi rattaché à l'imposant rocher Nasthurie, situé au fond de l'océan, par la plus grande des ancres.

Je monte donc à ses côtés et nous fais traverser le petit bout d'océan qui sépare la banquise des icebergs.

Arrivés sur place, Naïla, pardon, la princesse, se précipite dans ses appartements. Ils occupent les deux étages les plus bas de l'iceberg, et sont les plus beaux, car ils permettent d'observer toute la faune et la flore marine des profondeurs. Il lui arrive encore de passer des heures devant son mur transparent à observer les aller-retours des animaux marins. Mais ce soir elle n'a pas le temps, une grande cérémonie est donnée en l'honneur de ses dix-sept fontes. C'est sa dernière année avant de choisir son époux, qui deviendra donc le roi.

Comme à chaque fois que je pense à cela, mon cœur se noue. Je sais, je suis un véritable cliché ambulant, le garde du corps amoureux de la princesse qu'il protège. Mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est un véritable rayon de soleil. Personne ne semble le remarquer pourtant. Ses parents sont trop occupés à diriger le royaume, et son frère lui en veut d'être une fille. Oui, ici ce sont les femmes qui gouvernent. Alors quand elle est née, les espoirs de son frère d'être roi un jour se sont envolés. C'est une chance qu'il n'a pas encore essayé de la tuer !

Après m'être rapidement restauré je descends son dîner à la princesse. Je toque plusieurs fois à la porte, mais elle ne répond pas. Paniqué, j'entre à toute vitesse pour la découvrir calmement assise sur le rebord de la fenêtre, perdue dans ses pensées. Je pose délicatement le plateau et m'approche d'elle.

« - Tout va bien princesse ? Je suis venue vous apporter votre dîner, excusez mon intrusion, mais n'entendant pas de réponse après avoir toqué, j'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose. Princesse ? Vous devez manger maintenant, il ne faut pas que vous soyez...

- Naïla.

- Pardon princesse, mais je ne comprends pas.

- Je m'appelle Naïla, arrêtez de m'appelez princesse.

- Oui, bien sûr prin..., Naïla.

- Bien. »

Après cette étrange discussion, elle s'est mise à manger en vitesse et m'a demandé de quitter la pièce pour qu'elle puisse se changer.

Non seulement cette soirée est en son honneur, mais en plus elle doit montrer au peuple de quoi elle est capable. Bien sûr je ne doute pas d'elle, je sais parfaitement qu'elle est très douée, mais parfois l'angoisse peut nous paralyser et j'espère de tout cœur qu'elle gardera ses moyens.

Lorsqu'elle sort enfin, je reste sans mots tant sa beauté me m'éblouit. Elle a choisi une longue robe bleue nuit à dos nu. Ses cheveux sont simplement coiffés de deux tresses de chaque côté qui se rejoignent à l'arrière. Elle ne porte pas de bijoux hormis un diadème.

Je l'escorte jusqu'à la Grande Salle, situé au niveau de l'eau.

Son arrivée est annoncée par un héraut : « Mesdames et messieurs, voici la princesse Naïla, future reine du royaume, qui fête aujourd'hui ses dix-sept fontes ! »

Les murmures se taisent et elle s'avance le long de la grande allée pour rejoindre le roi et la reine. Tout le monde s'incline sur son passage.

Après de longs discours que je n'ai pas écoutés, le moment est venu pour la princesse de montrer ses pouvoirs au peuple. Elle se positionne face à un bassin prévu à cet effet et commence sa représentation.

Au début, elle se contente de soulever l'eau par jets et d'en faire des escaliers pour monter jusqu'à une plateforme aquatique qu'elle a formé au centre. S'ensuit alors un véritable ballet liquide. Les jets se répondent, sautent l'un au dessus de l'autre, prennent la forme d'un poisson ou d'une danseuse. L'illusion est parfaite, on croirait voir la réalité. Puis tout s'arrête. Naïla retrousse sa robe pour laisser voir ses chevilles qui prennent une teinte bleutée avant de se couvrir d'écailles et de finalement devenir une majestueuse queue de poisson. Elle quitte alors sa robe, et plonge dans le bassin de façon si gracieuse et discrète qu'à peine quelques vaguelettes sont formées lors de son entrée dans l'eau. Elle réalise ensuite une série de sauts tous plus hauts les uns que les autres, sans une éclaboussure. Enfin, elle termine sa représentation par un saut immense suivi d'un jet qui gèle instantanément juste avant de retomber. Une myriade de petits flocons accompagne sa glissade le long de ce toboggan éphémère et elle reprend enfin forme humaine après avoir remis sa robe.

Les spectateurs restent d'abord sans voix, puis applaudissent de toutes leurs forces. Je n'ai jamais vu une telle acclamation de toute ma vie. Même le roi et la reine félicitent leur fille. Ils ne devaient pas s'y attendre !

Je la regarde en souriant, elle doit être tellement heureuse ! Et pourtant, il me semble que le sourire qu'elle offre au peuple n'est qu'une façade, un sourire un peu triste même.


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