De ma faute

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OS Les Légendaires

Mes yeux se perdirent dans le feu tandis que mon esprit s'évadait. Un froid diffus m'entourait tel un châle, glaçant mon corps et mon âme. Malgré le foyer allumé par mes amis, j'étais gelée. Enveloppée dans une couverture brune, appuyée contre la pierre froide, mes cheveux blancs tombant sur mon front désormais vierge, je me sentais perdue, dépassée, comme une enfant.

Tout était de ma faute. Ma faute. Chacun de nous allait risquer sa vie pour empêcher ce que moi j'avais permis, sans le savoir, quelques années auparavant. Je ne pouvais deviner qui était cet esprit à l'époque, cependant la culpabilité me rongeait plus profondément qu'un poison. Détruisant ma chair, mes os, mon âme.

Pourquoi avais-je prononcé ce mot, cet unique mot qui avait scellé nos destins sans que je ne le sache ? Maintenant j'étais son esclave, son corps, un réceptacle à son âme plus noire que l'enfer. Il allait revenir, je le savais. Il allait détruire tout ce à quoi je tenais et ce serait uniquement de ma faute.

J'étouffai un sanglot. Je lui appartenais. J'étais impuissante. Danaël voulait le combattre mais il n'avait pas conscience de son pouvoir. Sur le bateau, il avait lu en moi et j'avais partagé un instant ses pensées. Seule moi connaissait sa puissance, et elle était illimitée. Un gouffre de destruction. La cruauté à l'état pur.

Et les mots que Danaël avait prononcés devant Razzia et Ténébris... Ces mots que j'avais surpris, je les redoutais, mais au fond, je savais que c'était la meilleure solution. J'étais prête à faire ce sacrifice si c'était nécessaire. Cela me coûterait, mais je préférais mourir plutôt que de laisser Anathos se réincarner.

Le feu devint plus vif. J'entendis Gryf s'assoir près de moi. Sa présence me rassura. Il était si... solaire et lumineux. Tout mon contraire.

C'était pour lui que je souhaitais mourir. Si Anathos le tuait, mon monde s'écroulerait.

- Où sont passés les autres ? me demanda-t-il en regardant au loin.

- Danaël et Jadina explorent les environs ; quant à Razzia et Ténébris, je crois qu'ils se prennent encore le bec ! répondis-je d'une voix éteinte.

Ce que je venais de dire m'importait peu, en fait. Ce n'était pas de cela dont j'avais envie de parler, mais les mots se bloquaient à la sortie de mes lèvres.

- Ça va mieux ? Tu n'as plus froid ? me demanda le jaguarian d'une voix rauque et légèrement embarrassée.

- Si... encore un peu... répondis-je lorsque l'air frais s'insinua sous mes vêtements.

Gryf m'attira contre lui, passant un bras sur mes épaules.

- Viens là ! Ma, hem... fourrure te tiendra chaud.

Je piquai un fard comme une adolescente. Gênée et peu habituée aux gestes de tendresse, je me raidis.

- Hum ? Euh... Merci.

C'est vrai qu'il tenait chaud. La douce chaleur de son corps m'enveloppa doucement. Épuisée, désespérée, je me détendis et me risquai à poser ma tête sur son épaule. Je fermai les yeux. Il fallait que je les lui dise, les mots qui me brûlaient les lèvres. C'était maintenant ou jamais. Je n'avais plus rien à perdre.

- Gryf ?

Ma voix était devenue fragile et apeurée. Tout ce que je détestais. Mais c'était un peu ce que j'étais en ce moment, non ? Fragile et apeurée.

- Promets-moi quelque chose.

Maintenant venait le plus difficile. J'inspirai avant de continuer.

- Promets-moi que tu t'enfuiras le plus loin de moi possible si jamais je deviens...

Ma voix se brisa. C'était trop dur à évoquer, cette possibilité. Je fixai Gryf qui mordillait une herbe, le regard au loin.

L'attente de sa réponse et la gravité soudaine sur ses traits me mirent au supplice.Le jaguarian ouvrit la bouche sans me regarder.

- Shimy, je te promets que dalle.

Un mélange bouillonnant de soulagement, de peur et de colère déferla en moi. Ma main s'envola sans que je ne le veuille et et percuta la joue de Gryf. Surpris, il fut déséquilibré et faillit tomber à la renverse. Les larmes aux yeux, j'ignorai la cuisante brûlure sur ma paume et plongeai dans le regard du jaguarian.

- Crétin ! Tu ne comprends pas ce qu'il se passe ? Regarde mes cheveux !!! Le processus a déjà commencé ! Si je deviens Anathos, je risque de te... de te...

J'étais traversée par une tornade de sentiments contradictoires. D'un côté, je voulais l'éloigner de moi, l'éloigner de cet abîme de haine que j'allais devenir. Mais j'étais égoïste, et une part de moi désirait qu'il reste à mes côtés, mon ancre, mon amarre, mon rempart contre la folie. Il était le seul élément encore stable dans mon univers, il était le rocher auquel je m'accrochais désespérément. Je ne voulais pas qu'il me quitte. Sans lui, je n'étais qu'une petite fille perdue.

Gryf se tourna vers moi. Ses yeux brillaient d'un éclat étrange, mélange de tristesse insondable, de peur et d'une tendresse infinie. Mon ventre se noua tandis qu'il prononçait les mots dont j'avais si souvent rêvés :

- Tout ce que je te promets, c'est que si ça arrive, je n'aurais plus de raison de vivre.

Troublée, stupéfaite, je crus rêver. Je ne réussis qu'à murmurer son nom, chargé de toute l'émotion du monde.

Gryf tendit la main et prit une mèche de mes cheveux désormais immaculés. Ses yeux étaient humides et sa voix tremblait lorsqu'il ajouta :

- Et puis, j'adore ta nouvelle couleur !

Bouleversée, je m'abandonnai aux larmes dans les seuls bras qui m'avaient toujours soutenue.

Les écrits de mes rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant