Entraînement

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OS sur Les Légendaires

Je fixai mon adversaire avec haine. Il me semblait que plus rien d'autre n'existait en dehors de lui et moi. Nous deux, et cette haine envers lui, qui me rongeait depuis la mort de mon meilleur ami. Par sa faute.

Le monde autour de nous n'était plus que ruines, à l'image de ce que je ressentais. L'ancien Gryf, blagueur et fonceur, avait disparu. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même.

Mon adversaire eut un sourire. Le même que celui de Danaël. Mon cœur se serra à cette évocation. Il lui ressemblait, et c'était normal puisqu'il lui avait pris son âme, l'avait chassé de son propre corps.

Je n'avais qu'une envie, lui foncer dessus, le griffer, le torturer, lui affliger toutes les atrocités possibles. Mais son existence même était une atrocité. Il n'était qu'un monstre.

Il leva son épée. Ses yeux sombres brillaient du plaisir de voir la haine dans mes yeux. Je savais aussi qu'il se délectait par avance du combat à venir, me croyant faible comme lors de notre premier affrontement.

Sur ce point-là au moins, il s'était trompé.

Je m'étais entraîné dur pour le vaincre. Chaque jour, je passais de nombreuses heures à me battre sans relâche, poussant mon corps jusqu'à ses limites les plus extrêmes pour devenir plus fort, plus rapide, plus puissant.

A nouveau, une expression propre à Danaël passa sur ses traits. Cette fois, je ne pus me retenir.

Je fonçai sur lui.

Toute ma rage, ma haine, ma douleur se concentrèrent dans mon bras. Alors que je m'approchais de lui, j'attendis le bon moment avant d'abattre mon poing serré à m'en faire mal, de toutes mes forces.

Nos deux corps se percutèrent. Une vive douleur traversa ma main. Sous la violence du choc, mon adversaire fut réduit en mille morceaux.

Des bouts de roche tranchants voltigèrent autour de moi. Certains m'entaillèrent la peau, mais sur le coup je ne le sentis pas. Je ne sentais rien d'ailleurs, j'étais comme anesthésié. Plus rien ne comptait, la seule chose que je ressentais était le flot brûlant de haine en moi. Mon seul monde était cette haine et le visage de mon ennemi se cassant en milliers de petits fragments.

Je souhaitais que ces fragments se dispersent pour toujours et qu'on ne les retrouve jamais. Que jamais plus il n'existe un être aussi abominable sur cette terre. Mais en même temps je voulais qu'il souffre, qu'il se torde de douleur, qu'il perde tout, jusqu'à sa dignité. D'ailleurs en avait-il ? Un être capable des pires horreurs, capable de massacrer des millions de personnes juste pour assouvir sa soif de tuer, avait-il une dignité ?

Je fixai le rocher qui m'avait servi d'adversaire et qui gisait maintenant en petits morceaux sur le sol.

Deux ans. Cela faisait deux ans que je venais m'entraîner ici, non loin de la mythique cité de Jaguarys, et que chaque jour, chaque heure, j'imaginais notre combat prochain contre le dieu du mal. Je voulais qu'il paie, je voulais qu'il souffre, je voulais qu'il endure tout ce que les Alysiens avaient enduré sous son règne de terreur. Je voulais lui faire aussi mal que ce que j'avais ressenti lors de la mort de mon meilleur ami.

Bientôt. C'était pour bientôt, je m'en faisais la promesse. Je levai un regard déterminé vers l'horizon. Au loin, derrière les montagnes, il y avait celui que je haïssais le plus au monde.

Des applaudissements enthousiastes me tirèrent de mes pensées. Je me retournai. Ma fiancée était là, assise sur un rocher. Ses yeux verts brillaient d'amour et d'admiration.

- Alors là, chapeau, Gryf, fit-elle d'une voix riante. Comment tu as fait ça ?

Je tournai à nouveau le regard vers ma cible, éclatée en petits morceaux. Mais à la place, une image d'Anathos flotta devant mes yeux. Je le voyais deux ans auparavant lorsque, après avoir transpercé Jadina de son épée, il s'était redressé et nous avait fixés, un air de délectation sur le visage. La fureur m'envahit à nouveau. Jusqu'à la fin de mes jours, cette image me hanterait et viendrait me narguer.

- Shun-Day, commençai-je, les mâchoires serrées à m'en faire mal, t'es-t-il déjà arrivé de haïr quelqu'un ?

Au ton de ma voix, elle perçut ma fureur même si je lui tournais le dos.

- Gryf ? murmura-t-elle.

- T'es-t-il déjà arrivé de haïr quelqu'un au point de vouloir lui infliger toutes les souffrances qui existent en ce bas monde ? De le haïr au point de vouloir lui arracher les yeux, lui taillader le ventre, le vider de son sang, l'étrangler à mains nues, l'écorcher vif ?

Je tremblais. De colère et de culpabilité. J'aurais dû réussir à empêcher ça. J'aurais dû...

- De le haïr au point de vouloir lui enlever tout ce qu'il possède ? Jusqu'à l'espoir ? Jusqu'à sa dignité ? Et une fois qu'il n'a plus rien et qu'il a assez payé pour ses crimes, de le laisser crever comme un animal, seul et dans les souffrances les plus atroces que tu puisses imaginer ?

Les mots n'étaient pas suffisants pour exprimer tout ce que je comptais infliger à cette ordure. Mon tremblement s'accentua et je m'aperçus que j'étais au bord des larmes.

- Gryf... murmura à nouveau Shun-Day.

- Est-ce que ça t'es déjà arrivé ? continuai-je, furieux, tandis que je sentis quelque chose d'humide sur ma joue.

J'entendis un bruit de pas légers et des bras minces m'entourèrent. La jeune fille se serra contre moi. Elle posa la tête sur mon épaule sans dire un mot.

Je pleurais sans retenue à présent. Plus rien ne m'importait.

Lorsque la Galina chuchota à mon oreille de garder espoir, qu'elle me soutiendrait toujours, j'eus un pincement au cœur.

J'étais tout pour elle. Et j'allais la trahir.

Je l'aimais beaucoup, j'avais énormément d'affection pour elle, mais je ne la considérais que comme une petite sœur.

Et finalement, je me demandai si sur ce point-là je valais vraiment mieux qu'Anathos.

Les écrits de mes rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant