Pirates

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Le navire avançait seul entre la lune et son reflet scintillant dans l'eau. La mer, lisse et brillante comme une fenêtre sur un monde inversé, était saupoudrée d'étoiles. Accoudée à la fenêtre, réelle cette fois-ci, d'une des cabines du bateau, la capitaine des pirates contemplait ces deux ciels, celui d'en haut et son reflet d'en bas.

Longs cheveux noirs, peau pâle comme la lune et yeux en amande.

Elle songeait à sa meilleure amie Déborah, faite prisonnière par la Marine. La pirate aurait voulu voler à son secours mais elle craignait une mutinerie. Elle n'était pas douée pour inspirer la confiance de ses hommes, qu'elle tenait par la peur. Alors elle se morfondait, en craignant pour la vie de celle sur qui elle avait toujours pu compter.

Quelques coups à la porte, un homme entra.

- Capitaine, la prisonnière est prête à vous écouter.

Lian le congédia d'un geste et se leva de la banquette. Prenant une lanterne accrochée près de la porte, elle emprunta un couloir en bois descendant aux étages inférieurs du bateau. Parvenue à une porte solide, percée d'un soupirail avec des barreaux, elle s'arrêta, sortit une clé qu'elle glissa dans la serrure et fit tourner avant de pousser le battant.

Sa prisonnière était allongée sur le lit, un livre à la main. En entendant la pirate entrer, elle releva précipitamment la tête et la fixa d'un air à la frontière entre le défi et la peur.

Courts cheveux bruns, peau dorée, perçants yeux clairs soulignés d'un trait sombre. Parée d'or, son corps masqué par une longue robe blanche au tissu léger.

C'était une jeune noble égyptienne. Ses parents l'avaient envoyée étudier en France, mais le bateau avait été attaqué par Lian et ses hommes. C'était tout ce que la capitaine avait pu tirer de la jeune fille - ça et son nom, Hélène.

La prisonnière se releva sur son coude tout en cachant le livre sous sa couverture.

- Que me voulez-vous ? lança-t-elle d'un ton qui masquait mal sa peur.

- Rien, pour l'instant, répondit la pirate en s'avançant. Dis-moi, qu'est-ce que tu lis ?

Hélène hésita un instant puis dévoila le livre. C'était un roman d'aventures. Lian eut un sourire.

- C'est mon roman préféré.

Étonnée, la jeune noble la dévisagea.

- Vous... vous aimez lire ?

- Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ? Que je passe ma vie à boire ou à piller ?

La pirate rit.

- Lors de mon temps libre, j'observe les étoiles. Je suis une passionnée d'astronomie. Chaque nuit, j'essaye de les identifier avec Débor...

Lian s'interrompit, un pincement au cœur. Son amie, la seule personne avec qui elle était vraiment proche, lui manquait horriblement. La culpabilité et l'angoisse pesaient sur ses épaules et lui nouaient le ventre jour et nuit. Hélas, elle était pieds et poings liés, réduite à l'impuissance. La pirate se tourna brusquement vers Hélène, qui sursauta.

- Mais je ne suis pas venue parler de livres. J'ai un marché à te proposer.

La jeune noble se raidit.

- Jamais je ne traiterai avec vous ! cracha-t-elle.

- Tu n'auras rien d'immoral à faire. S'il te plaît, accepte de sauver la vie de ma meilleure amie.

Hélène sembla encore une fois surprise, comme s'il ne lui avait jamais traversé l'esprit que Lian puisse avoir des amis.

- Tes parents sont puissants, n'est-ce pas ? continua la capitaine. Je t'amène au poste de Marine et tu demandes la libération de la pirate Déborah. Fais cela, et tu seras libre.

- Jamais on ne me laissera...

- Arrête de mentir. Je sais bien qui tu es, Nephthys, fille du souverain d'Égypte !

La princesse se figea, stupéfaite.

- Écoute, fit Lian plus bas pour l'amadouer. Si tu m'aides, je t'en serais éternellement reconnaissante. Déborah va être tuée bientôt, si ce n'est pas déjà fait ! C'est la personne qui compte le plus à mes yeux. Je ne veux pas la perdre.

La capitaine leva des yeux suppliants vers Nephthys :

- Je jure que si Déborah et moi nous en sortons vivantes, je quitte mon poste de capitaine, mon navire, ma vie de pirate, et je commence une vie honnête.

Désarçonnée, la princesse hésita un instant, mais, devant le regard empli de douleur de Lian, elle baissa la tête.

- J'accepte, en échange de ma liberté.

Le cœur de la pirate se gonfla d'un soulagement si fort qu'il lui était presque douloureux. Ses yeux s'écarquillèrent, son visage s'illumina.

- Merci ! Merci beaucoup ! Alors marché conclu ?

Avec hésitation, Nephthys saisit la main que Lian lui tendait et répondit :

- Marché conclu !

Rayonnante de bonheur, la pirate ferma les yeux. Elle allait sauver son amie, et toutes les deux allaient commencer une nouvelle vie. Elles n'auraient plus à craindre pour leurs vies en permanence. Euphorique, elle murmura à l'oreille de l'Égyptienne :

- Je t'en serai éternellement reconnaissante, princesse.

Les écrits de mes rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant