1. L'atelier

83 6 14
                                    

1495, Milan, Bottega du Maestro Leonardo di ser Piero da V...

« C'est ici, tu crois, Gabriele ? »

« Oui, sans aucun doute ! Regarde, c'est sa plaque, même si une partie du nom a été effacée... sans doute des idiots ou des jaloux ! »

De l'aveu même de Kilian, Milan était une ville bien trop ronde pour lui. Une grande muraille protégeait les habitations. À l'intérieur de la forteresse, des ruelles formaient des cercles. Un canal, dont le cours suivait l'enceinte avec un étrange parallélisme, faisait vivre la cité comme les veines et artères d'un corps humain. Le moyen-âge s'effaçait à peine que, déjà, les hommes s'éveillaient à la Renaissance. Fils d'un marchant français et d'une bourgeoise italienne, l'adolescent était arrivé dans la péninsule trois ans plus tôt avec son géniteur et son frère ainé. Il avait alors douze ans. Son premier réflexe avait été de trainer dans les rues à la recherche d'un camarade avec qui jouer aux osselets ou à la morra. Son premier ami lui était tombé dessus d'une fenêtre à partir de laquelle ce dernier cherchait à s'envoler. Jeune noble milanais aux cheveux châtains, aux iris d'un bleu éclatant et au sourire charmeur, Gabriele San Ferante passait ses journées à l'étude et à se distraire en dessinant des fleurs ou en jouant du violon, instrument de musique inventé seulement soixante-dix ans plus tôt. Quand il n'en pouvait plus de ses occupations habituelles, il inventait de nouvelles choses, avec un taux d'échec particulièrement critique qui ne le faisait cependant pas reculer. En amortissant sa chute, Kilian devint son ami et protégé, à condition de lui servir d'assistant. Flatté d'être ainsi repéré par la noblesse, le garçonnet – dont les cheveux étaient presque aussi jaunes que le soleil et les yeux aussi verts que l'herbe – avait immédiatement accepté de rentrer au service de la famille San Ferante. Cet emploi lui permettait de gagner quelques sols à ramener à son père, bien trop heureux d'avoir un fils qui rapporte sans qu'il n'ait plus à s'en occuper.

En tant que serviteur personnel, Kilian était devenu le compagnon de jeu, d'aventure et d'apprentissage de Gabriele. De valet, il n'avait que le titre. Son maitre le considérait avant tout comme un ami, et sans doute son plus cher. Le jeune adolescent était libre de ses allers et venues et n'avait pas à se courber devant plus puissant que lui. Sa seule obligation était de poser quand son camarade le lui ordonnait, dans les positions qu'il lui intimait de prendre. Pour le blondin, ces séances étaient loin d'être un problème. Dans son ancienne maison, en France, il avait pris l'habitude de vivre le plus naturellement possible et de se laver parfaitement dévêtu dans les lacs et les rivières. Ce que lui imposait Gabriele était, à ses yeux, plus une récréation qu'une corvée. Et puis, il avait la chance de vivre en pleine Renaissance.

Pour les deux jouvenceaux, il apparaissait très clairement que cette période était, de loin, la plus agréable à vivre. Le duc Ludovic Sforza régnait d'une main de maitre sur la ville depuis des années, même s'il n'avait récupéré la charge ducale que quelques mois auparavant. Ayant vaillamment repoussé les Français, il passait le plus clair de son temps à embellir sa cité et à concurrencer le Florentin Laurent de Médicis dans la course au titre de plus grand mécène de son temps. Pour Gabriele, grande était la fierté que de vivre dans la même ville que l'architecte Bramante, que le sculpteur Cristoforo Solari ou que le peintre Andrea Solario. Milan était une cité d'art, de raffinement et de progrès. Malgré son rang supérieur, le jeune noble ne rêvait que d'une seule chose : intégrer la Bottega d'un Maestro. Après des mois de débat et de dispute avec ses parents, ces derniers avaient fini par céder et avaient montré certains de ses dessins aux différents artistes de la cité, en espérant que l'un d'eux accepte d'assurer sa formation.

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant