2. Première semaine au service de l'art

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Jamais de toute sa vie, Gabriele n'avait été plus heureux que depuis une semaine. Ce monde qu'il découvrait était le sien, à tel point qu'il se prétendait prêt à abandonner toute dignité nobiliaire contre le titre ayant le plus de valeur à ses yeux. « Artista »

Kilian, lui, ne savait pas vraiment quoi penser de la situation. S'il adorait pouvoir se balader dans les tenues de son choix sans la moindre remarque – et souvent, de tenue, il n'y avait point –, il acceptait bien moins facilement les regards intéressés qui se posaient ici et là sur sa croupe. Servir l'art, oui, il voulait bien, mais les artistes, c'était moins sa tasse de thé. Quand bien même cette boisson restait encore à inventer. Et alors qu'il servait de modèle à un Gabriele qui se passait la langue sur les lèvres, il craqua :

« Je suis sûr qu'ils sont viciés jusqu'aux entrailles... Je ne sais pas ce qui me retient d'aller les dénoncer, tiens, qu'ils brulent ! J'te jure, il y en avait un, il avait une bosse quand il me dessinait, je l'ai vu, je te dis que je l'ai vu ! »

« Nan mais c'est normal d'avoir des réactions disgracieuses quand tu remues du cul ! Tu m'as jamais reproché les miennes ! D'ailleurs, arrête de le bouger, ton derrière, ça me déconcentre ! J'ai une commande à assurer, ma première ! Alors calme-toi. »

Jamais depuis qu'il servait de modèle à son ami, Kilian n'avait remarqué le moindre signe d'excitation chez lui. Enfin, il l'avait déjà vu bander, mais c'était en observant quelques paysannes qui se lavaient nues dans la rivière, réaction tout à fait normale, donc, même si à la différence de son camarade, le spectacle ne faisait souvent ni chaud ni froid au blondin. Trop grandes, trop belles, trop différentes... il préférait contenir ses humeurs plutôt que de céder à l'appel de la chair. Les seules fois où il avait le souvenir d'avoir vu son intimité pointer le royaume des cieux, c'était lors de quelques bagarres avec des voyous un peu trop chatouilleux. La première fois fut une grande révélation à ses yeux : les guilis étaient l'arme que les damnés utilisaient pour servir sur terre leur maitre Belzébul et détourner les bonnes âmes de la piété. Mais il ne s'était pas laissé prendre ! À chaque fois, en pénitence de ces souillures, il se purifiait à l'eau gelée en récitant des Ave Maria et Pater Noster dans un latin dont il ne comprenait rien. Puis, le lendemain, il retournait se faire chatouiller. Ce n'était pas sa faute, même s'il était plus long que la normale, ce chemin pour se rendre au marché était son préféré. Il n'allait quand même pas changer ses habitudes à cause de quelques brigands qui mettaient toujours les mains dans ses poches et sa culotte pour voir s'il ne transportait pas un sou ou deux ? Ces sacripants étaient d'ailleurs malins, ils avaient parfaitement compris que c'était toujours au plus près du corps que le blondinet cachait sa petite monnaie.

De ce fait, il se lavait à l'eau froide presque tous les jours, en faisant un des servants les plus propres de la maison San Ferante. Gabriele, lui, s'amusait de la détermination de son camarade à ne pas céder et à ne pas changer d'itinéraire, quand bien même ses réactions s'accompagnaient de grognements et même parfois de larmes. « C'est Dieu qui mets cette épreuve sur ma route, et personne ne peut se détourner du chemin que notre Seigneur lui a tracé ! Mais eux, ces enfoirés qui m'agressent, faudrait tous les bruler ! Dis, tu me passes trois sols pour demain ? Ils trouvent que deux, c'est pas suffisant. »

Inlassablement, Kilian se comportait en parfait blondinet, et c'était pour cette raison que Gabriele l'adorait et le protégeait. L'adolescent aux yeux verts ignorait que son maitre avait menacé en secret ses assaillants pour qu'ils se contentent de prendre l'argent sans trop l'abîmer. Il l'ignorait, mais il lui vouait quand même une profonde reconnaissance, suffisante pour tout accepter de sa part comme par exemple ses réactions naturelles :

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant