4. Négociations respectueuses entre gentilshommes

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« Kilian, arrête de faire la tronche ! Ça va, c'était juste un bisou, il t'a pas pris par derrière ! Le pape va pas te bruler pour si peu ! »

Quatre jours durant, le blondinet resta enfermé dans l'atelier sans vouloir sortir ni voir quiconque. Quatre jours durant, il chouina comme un misérable, n'avouant l'atroce agression dont il avait été victime qu'à l'unique garçon en qui il avait confiance, Gabriele. Quatre jours durant, il insulta et conspua un maudit brun bien moins noble que son sang ne le laissait présager et qui, sans doute satisfait de son méfait, n'avait pas trouvé bon de venir glisser son nez dans la bottega. Quatre jours durant, il frémit à chaque claquement de porte et à chaque courant d'air, comme si l'inquisition venait le chercher pour le punir d'un crime dont il avait été complice bien malgré lui. Quatre jours durant, il se passa les doigts sur ses lèvres en essayant de reproduire cette douce sensation parfaitement détestable qui l'avait pourfendu en deux.

À l'atelier, si un seul avait été mis au courant de toute l'histoire, la rumeur s'était répandue comme une trainée de poudre. L'air apeuré du blondinet à chaque courant d'air ajouté à la couleur ocre que prenait son visage à chaque évocation de la famille Ariane avaient suffi pour que tous comprennent. Ce jeune homme adorablement idiot – bien qu'il ne fût pas bête – était forcément amoureux. Cela ne pouvait être que ça ! Après tout, c'était de son âge. Le plus dur à supporter, au final, ce furent les félicitations de Salaï. En parfait petit diable, ce dernier ne manqua cette magnifique occasion de se moquer du stupide petit blond qui ne lui avait que trop cherché des noises quant à ses propres sentiments. En retour, la réaction fut violente.

« Je les hais ! TOUS ! Ce monstre d'Aronne, cet enfoiré de Salaï, le pape et même Dieu ! Il n'avait pas le droit de me faire ça ! Pas à moi ! J'ai toujours obéi, je vais à la messe tous les dimanches, je fais ma prière tous les soirs, je donne aux pauvres, même si souvent ils se servent directement sur moi, je sers avec dignité la famille qui m'a recueilli... j'méritais pas une épreuve pareille ! Fais-moi un câlin au lieu de me gronder ! Ah nan, c'est vrai, tu peux pas, tu dois partir pour voir Giuditta, la sœur de l'autre pervers ! C'est plus important pour toi que ton serviteur ! Laisse-moi mourir alors, faux frère ! Laisse-moi ! J'vais me réchauffer tout seul auprès du feu ! Comme ça, si jamais je tombe dedans et me brule, ça fera des économies pour mon bûcher ! »

Qu'est-ce que Kilian pouvait être fatiguant quand il s'y mettait ! Gabriele avait beau être bon et patient, il avait bien du mal à supporter certaine des crises de nerfs de son serviteur. Et pourtant, il l'adorait, ce blond un peu couillon à qui il avait ouvert son cœur et même sa couche, pour se réchauffer mutuellement pendant des hivers un peu trop froids. Lors de leur rencontre, le jeune garçon n'était qu'un gamin comme un autre, survivant comme il le pouvait avec une mère ivrogne qui avait disparue et un père sévère qui le battait. Mais si de nombreux bleus parcouraient son corps, c'était bien son âme qui était le plus en peine. En le prenant sous son aile et en négociant habillement un arrangement financier avec son odieux géniteur, Gabriele l'avait en quelque sorte sauvé d'un destin bien misérable. Et en lui offrant l'affection dont il manquait, il lui avait redonné une certaine envie de vivre. Cela passait souvent par de petits gestes doux que le garçon aux yeux verts adorait et dont il avait besoin. En échange de toute cette bonté dont il ne se sentait pas toujours digne, Kilian avait accepté de servir d'assistant et de serviteur et de participer, à sa façon et bien souvent de manière complétement dénudée, à la progression de l'art.

Plus qu'un maitre, Gabriele était un ami, un confident, une peluche, une bouilloire et presque un frère. Mais sa patience avait pourtant des limites.

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant