7. La vérité

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Lorsque le soleil se leva sur Milan, un voile de déprime enveloppa l'atelier de Leonardo da Vinci. Quatre jours durant, l'artiste ne produisit rien. Lui qui ne s'arrêtait pourtant jamais de penser, il ne réalisa pas le moindre dessin dans ses carnets, ne traça pas le moindre trait de peinture et n'eut pas la moindre idée. Si la fuite précipitée de Salaï avait fait plaisir au plus grand nombre, presque tous durent admettre que l'influence du petit diable sur l'état du Maestro était bien réel. Sans son disciple préféré à ses côtés, le génie que toute l'Italie s'arrachait n'était plus que l'ombre de lui-même. Même si la punition lui avait semblé proportionnée et légitime à la vue de la faute reprochée, la réaction de son élève l'avait laissé par terre. La fuite de Salaï n'avait eu qu'un seul objectif : blesser au plus profond l'homme qu'il aimait et qui ne l'avait pas cru. La question qui se posait était cruelle. Qui avait abandonné qui ?

Le doute ne put que s'immiscer dans l'esprit de l'artiste. Avait-il été juste ? Avait-il fait le bon choix ? Pourquoi n'avait-il pas pardonné à ce jeune démon comme à chaque fois ? Leurs joutes verbales étaient aussi fameuses que leurs intenses retrouvailles, le soir au coin d'un feu. Ce gamin ne l'écoutait pas, désobéissait, et n'avait de cesse de jouer les petites princesses prétentieuses. Et pourtant, il le comprenait comme nul autre. Sa douce voix, son visage souriant, ses conseils tendres et ses colères dès qu'il était question d'honneur... Salaï n'était pas qu'un simple élève ou disciple. Il était bien plus. Il était tout.

« Pourquoi n'allez-vous pas le chercher ? Cela fait deux jours qu'il a fui, il est temps de ramener ce garnement à la maison. À son âge, les rues ne sont pas sures, cela m'inquiète de le savoir dehors, par les temps qui courent. Ressaisissez-vous, Leonardo. »

Même Mathurina, qui pourtant avait bien du mal à supporter le diablotin, s'était rangée à l'avis général. La petite guerre entre ces deux-là avait assez duré. Si se faire du souci pour Salaï n'était qu'un prétexte pour réclamer son retour, tous avaient à cœur de voir le Maestro créer à nouveau.

« Non, ce qu'il a fait est inqualifiable, je ne peux pas lui pardonner. Je ne dois pas. »

Bien malgré lui, et même s'il était le premier à en souffrir, le peintre refusa toutes les mains tendues pour se mettre à la recherche du garnement. Sa morale l'en empêchait.

Dans l'entourage du maître, si quelqu'un ne croyait pas en la culpabilité de Salaï, c'était bien Kilian. Tout cela ne collait pas. Malgré leurs nombreuses prises de bec, jamais son camarade n'aurait pu faire une chose aussi ignoble que de le dénoncer pour un crime qu'il n'avait pas commis. Ou plutôt, jamais il n'aurait pris le risque de blesser Leonardo, ce qui avait fini par arriver. Mais si ce n'était lui, qui donc pouvait être le coupable ? Tourner en rond dans l'atelier ne lui apportant aucune réponse, il essaya comme les autres d'apaiser la colère de l'homme tourmenté et de lui faire ouvrir les yeux.

« Cela fait plusieurs années que vous l'avez recueilli, non ? Vous le connaissez, il est capable de pleins de terribles choses, mais pas de ça ! »

Comme ses camarades, le blondinet se cassa les dents face à une montagne presque ivre qui ne voulait rien entendre. Tout juste Leonardo soupira-t-il un long moment en observant un certain nombre des croquis qu'il avait réalisés pendant ces cinq dernières années...

« Plus on connaît, plus on aime... »

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant