3. Le vol

35 3 12
                                    

« Ça va, ce ne sont que quelques bleus et des contusions, tu seras sur pieds d'ici quelques jours. Et si le seigneur préfère te rappeler à lui, ce n'est pas grave, je te dissèquerai. »

Ne pas gâcher. Dans la vie de Leonardo, il y avait peu de crédos plus importants que celui-ci. Flirtant avec la loi et les interdictions papales, l'homme de science n'avait jamais connu la moindre hésitation devant un cadavre fumant. Dans cette activité, il n'y avait rien de vraiment malsain. Ce qu'il faisait, il le faisait pour le progrès, le savoir et la connaissance... Du côté de Kilian, par contre, la perspective de finir sa trop courte vie le ventre ouvert et les entrailles à côté n'était pas la plus reluisante de toute. Après tout, il s'était seulement foulé le poignet en chutant au sol. Il préférait de loin être esclave de l'art plutôt qu'objet d'étude scientifique.

Le blondinet avait encore du mal à réaliser ce qui s'était passé la veille. Ses muscles courbaturés lui faisaient mal. Son cœur était meurtri. Il n'avait rien demandé à personne et on lui était tombé dessus comme s'il était responsable de tous les maux de la terre. Et ce diable de Salaï qui l'avait abandonné à son triste sort, qu'avait-il fait ? Il était rentré comme un prince à l'aube avant de se glisser dans le lit de son maitre et d'y faire la grasse matinée ! Il était d'ailleurs près de midi, et il n'était toujours pas levé. Tout juste exigea-t-il de Mathurina qu'elle lui apporte une collation avant de lui demander de le laisser flâner, vu qu'il refusait de voir et de parler à qui que ce soit d'autre. Ce petit manège dura ainsi pendant trois jours. La seule chose qu'il s'autorisa à faire en dehors de sa couche fut d'emprunter quelques sous à ses camarades sans leur demander l'autorisation. Kilian trouvait cela injuste. Dans l'atelier, personne n'ignorait ce qui s'était passé. Tout le monde n'avait que cette odieuse agression à la bouche, et tous s'étaient inquiétés de l'état du petit blondinet, même le Maestro lui-même. Tous sauf un, qui prétextait avoir besoin de repos après « une longue nuit bien compliquée ».

Les rumeurs sur le comportement de Salaï allaient bon trains. Luca et d'autres ne se génèrent pas pour parier sur ce qui avait bien pu l'occuper et le fatiguer ainsi. Plusieurs misèrent sur sa volonté perverse de détourner le maitre de son art, cause de son épuisement. C'était idiot, jouer au serpent devant la pomme, il l'avait déjà fait la veille et l'avant-veille de l'accident et de nombreuses fois avant, et jamais cela ne s'était accompagné d'un tel comportement. D'autres crurent voir ici un premier signe d'une infidélité envers l'homme qui l'avait recueilli : peut-être l'adolescent était-il aller rendre visite à une signorina et s'était-il retrouvé puni et consigné une fois son méfait découvert ? Après tout, il avait l'âge, et la promesse d'une belle dot ne pouvait qu'intéresser ce fainéant ! Un ancien pouffa. Si ce monstre se mariait un jour, cela ne serait sans doute pas avant l'âge de quarante-trois ans, après avoir définitivement épuisé les ressources de sa jeunesse et surmené quelques hommes au passage. Gabriele s'étonna de la précision de la prédiction. On lui répondit sur un ton moqueur que c'était écrit dans les étoiles. Kilian et quelques soutiens, enfin, jugèrent que son attitude était forcément liée à sa honte d'avoir abandonné un camarade aux mains de voyous, à sa jalousie de ne pas être au centre de l'attention et à sa colère de toujours se faire gronder plus que les autres. Le seul qui connaissait la véritable cause de son isolement était son maitre, à qui il avait confié son besoin de se couper de l'agitation de l'atelier. Toujours perdu dans ses pensées, Leonardo ne faisait qu'éluder la question à chaque fois qu'on la lui posait. L'important était que les garçons aillent bien et que personne n'eut été blessé dans cette échauffourée.

Plus que le comportement de Salaï que Kilian ne comprenait pas, celui d'Aronne l'avait mis dans une colère noire. Le bellâtre ne pouvait pas s'occuper de son derrière plutôt que de venir sauver celui des autres ? L'imaginer en chevalier servant était insupportable ! Et pire, en trois jours, il n'avait même pas trouvé le temps de venir pavaner autour de l'atelier! Ce maudit brun était un véritable monstre. Par politesse, Gabriele était allé remercier sa famille pour le sauvetage de son valet et pour lui retourner son veston lavé par ses soins. L'adolescent l'avait reçu avec quelques coupures sur le visage. Seules deux phrases avaient été échangées.

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant